Le sacre de l'été
Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...
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le 3 août 2019
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Midsommar est certes un bon film, qui plus est un bon film d'horreur. Mais il l'est surtout dans la mesure ou les thèmes sociaux et sociétaux qu'il aborde sont justes. Force est d'observer une œuvre confrontant deux humanités s'opposant et se liant par leur rapports aux croyances et à la violence, opérant avec une forme d'évidence que leur degré d'acceptation individuel est avant tout une affaire de mœurs collectives.
Point névralgique de l'horreur dans l'imaginaire humain, le
cannibalisme
, plus que suggéré ici, se démarque d'autres œuvres pouvant y faire référence en ce qu'il s'inscrit dans une pratique dont des codes d'art de table classique (nappes, assiettes, couverts) est une coupe d’ambiguïté entre civisme et une trivialité imputable à l'origine inhabituelle d'un type de nourriture qui, finalement, ne l'est pas tant que ça. Car il n'est pas seulement le
cannibalisme
, mais révèle d'une chose à la fois plus banale et subtile dans nos sociétés: il est l'ascendant d'un groupe sur un autre, ou plutôt, de perception sur une autre, questionnant le régime carné, entre autres, mais également toute forme de prosélytisme par la norme, puisque le thème sectaire est ici évident mais ne fait finalement que renverser le rapport de force d'une chapelle sur celle d’où proviennent les citadins, véhiculant leurs propres codes subjectifs (la scène de pissoir-arbre n'a rien d'anodin).
Midsommar donne plus que dans le film d'horreur dont il renverserait quelques codes, et ce qui peut constituer pour le spectateur lambda une forme de psychopathie, de folie hors norme de la part de la communauté, peut finalement être interprété comme une simple alternative dans la morale sélective humaine n'empêchant aucunement à des biens portants d'exprimer leur penchant pour la spiritualité, la connaissance, le rapport à l'art et à l'amour, les y encourageant même avec une forme de passion et de joie détourée et soutenue par la communauté, un don de soi que l'on peu cataloguer comme de la dévotion mais qui ne s'éloigne des pratiques connues de l'humain que par le prisme de ce que celui ci juge normal ou non à un instant T. En tant que simple citoyen témoin de pratiques à la fois controversées mais majoritairement intégrées dans les mœurs, les scènes de violence de beaucoup de film d'horreur avec leur aspect jubilatoire, moins de la souffrance en elle même que de son produit final, me rappelle celle de mes congénères en qualité de consommateurs ou de professionnels.
Il n'est pas anodin que le pris parti esthétique du film concernant les antagonistes soit dominé par ce blanc laiteux, immaculé, pur en apparence, que vient contraster l'unique homme de couleur du film arborant finalement le psychisme le plus mûr et équilibré de tous (on constatera que le lieu où s'entrepose le savoir, celui la même ou créeront la vie deux amants, est le lieu le plus sombre du site. Simple inversion de symbole ou réelle représentation de leur puissante subjectivité? La notion de pleine lumière peut aussi s'entrevoir comme celle d'une folie, de l'aveuglement face au soleil consumant, tandis que la sagesse réclamerait une approche parcimonieuse et discrète du savoir, fuyant les incursions médiatiques comme l'hérésie des idiots.
et c'est en tentant de photographier des œuvres que Josh mourra.
). Nous savons grès de beaucoup d'auteurs pour avoir entrepris de fantasmer la sauvagerie obscure de tribus reculées, mais l'homme blanc n'en est franchement pas une apparition récurrente. En sa qualité de grand conquérant et d'auteur d'une bonne partie des codes sociétaux de chaque continents, le blanc, ou plutôt le rose marshmallow, contrevient à l'image que l'on peut se faire d'une tribu. Pourtant, même si l'on parle couramment d'individualisme, le communautarisme a toujours été un des plus importants expédients face à l'adversité de l'existence, et la violence normée des sociétés occidentales n'est pas en reste. Cette forte adhésion sociale donne le La à une abnégation, à la fois de soi mais aussi de l'autre, et crée un ascendant de l'idéologie sur le vivant ou le premier est censé prendre soin du second, bien que son potentiel de détérioration, de dévoration, se retrouve en même temps multiplié.
La relation entre Christian et la communauté, souvent implicite, agit en miroir inversé tant dans leur manière de partager le savoir que dans leurs conciliations affectives et leur prise en charge de Dani. Si Christian semblent agir par la contrainte d'une culture manichéenne, la communauté assume complètement ses identités qu'elle cherche à relier comme le perpétuel cycle de dissolution/assimilation de la nature, autrement dit, le lien inextricable entre vie et mort. Elle trouvent dans le deuil de Dani un espace d'intensité où s'engouffrer et se nourrir mutuellement. La force du collectif Suédois réside en ce que l'intimité de chacun n'y est plus contrainte par l'isolement et le privée. Elle n'est plus cachée mais ouverte et évacuée jusqu'à l'étalage des chairs. Elle transite de corps en corps, et passe par tous les éléments qu'explore les rites dans une catharsis implacable et socialement engageante. Effectuant une passation à son insu, celle de sa semence mais aussi celle de Dani, le lâche Christian s'intègre parfaitement dans le rite et peut être est ce pour ça qu'il y tiendra un rôle majeur. C'est le transfert de pouvoir, de l'idéologie individualiste et matérialiste incapable de saisir son rapport au monde, à une autre répondant à la moderne décadence par un retour à un sacrée (et donc sacrifiant le profane), désuet et syncrétique, assoiffé de rituels à travers lesquels adjurer les cloisons individualistes, prélevant dans le monde de l'absurde des totems de chair à vider et à bruler dans un dépouillement jusqu'au-boutiste, nommant une reine et parachevant le processus en coupant un a un les liens de son totem personnel en la personne de Christian, amoindrit dans son intégrité morale, sensorielle, gestuelle, puis crucifié dans un fauteuil roulant par la nouvelle une Dani-Anté-Marie, grande prêtresse ne le privant elle même de sa compassion, se défaisant de ses devoirs de citoyenne intègre, et enfonçant dans la gorge de l'idiot le coup de couteau final que la toute première danse annonçait.
L'idiot est ici l'individualiste opérant son émancipation en dehors du groupe, interférant par des rapports en perte de repères et de liens permanents, aboutissant à un divorce du monde où l'un et l'autre se détériorent inexorablement. Néanmoins, la communauté représente également l'idiote de l'individualiste en ce qu'elle réfrène l'émancipation personnelle au profit de besoins dépendants de l'intelligence d'un groupe. L’aliénation individuelle commence par cette adhérence au collectif en forme de super-entité et aux fonctions que seul un être en marge serait capable de critiquer. En ceci les deux communautés se font écho.
La confrontation des deux schémas de collectif révèlent leur limites mais aussi leurs avantages propres, disant là leur raison d'être malgré de silencieuses dérives: ici, la communauté rend compte des ambivalences culturelles, révélant et répondant aux différents handicaps des visiteurs (individualisme, dépérissement dû à la vieillesse, dépendance affective, deuil, etc), démontrant une forme de supériorité dans les domaines où l'autre pêche. C'est souvent sur ces avantages que de nombreux biais cognitifs vont s'appuyer pour valider ensuite d'autres pratiques de groupe moins glorieuses vues de l'extérieur, jusqu'à basculer dans l’irrationnel. A n'en point douter, Midsommar révèlera des réactions foudroyantes d'ethnocentrisme. Pourtant, nos sociétés, nos foyers, nos quotidiens sont envahis de pratiques que nous discuterions intensément si nos biais cognitif de les avaient tout simplement pas banalisé. Nous ne pouvons voir Midsommar comme un film d'horreur que dans la mesure ou nous ne comprenons pas ces biais cognitifs.
Nous avons à faire à une œuvre filmique originale par son traitement, ses références, mais finalement qui se veut tout de même abordable en poursuivant un caractère de fiction, délaissant les démonstrations idéologiques au profit du suggestif et sensitif. Néanmoins, la confrontation horrifique peut être gage de projection anthropologique afin de mieux cerner les enjeux pouvant mener un groupe à en détruire un autre au delà des guerres politiques ou religieuses habituellement relatées dans nos médias.
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le 10 févr. 2020
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