L’intro donne le ton. Un butin, passant de main en main, a, en réalité, été dérobé par un des intermédiaires. Quand le gangster au bout de la chaîne s’en aperçoit, il la remonte et envoie valser dans les décors tous ceux qui ont participé à cette transaction. Montage remarquablement fluide, musique aux petits oignons, la trogne de Mario Ardof qui gifle une femme, qui taillade les joues d’un autre puis qui finit par faire sauter à la bombe trois intermédiaires ficelés l’un à l’autre au fond d’une grotte isolée. Le cinéma de Fernando Di Leo, qui se lance pour la deuxième fois de sa carrière dans le polar, s’annonce percutant et violent. Si la suite se révélera effectivement violente par endroits, la forme change radicalement après le générique. Gros plans sur les différents personnages, au sens propre comme au sens figuré, qui deviennent le cœur du récit, et présentation d’un Milan bien éloigné de son image glamour et majestueuse. Si le cinéma de Fernando Di Leo diffère de celui de ses homologues italiens par son refus du ton documentaire, le résultat ne témoigne pas moins de son époque. Le choix de Milan où a eu lieu le premier attentat marquant des « années de plomb », la violence des gangsters, la politisation à tous les échelons (le commissaire et l’inspecteur aux discours totalement opposés) sont ainsi des éléments du réalisme de son film. Plus marquant encore, la situation des policiers qui ne sortent jamais de leur bureau est évidemment bien plus conforme à la réalité que ceux qu’on envoyait nettoyer les villes dans d’autres récits.
Il est cependant amusant de noter que ce film considéré comme une des têtes de pont du poliziottesco ne soit assurément pas le plus représentatif du genre. Le cinéma de Di Leo est probablement celui qui est le plus référencé de son époque. Son but n’est pas de rependre les archétypes modernes qui sont en passe d’envahir les salles de cinéma américaines. Au contraire, son cinéma s’enracine dans le film noir à l’Américaine mais aussi à la Française, et notamment celui de Jean-Pierre Melville dont il était un immense admirateur. Difficile en effet de ne pas voir dans le personnage un brin mutique de Gastone Moschin, un cousin éloigné de Gus du Deuxième souffle. Ce gangster à l’ancienne, qui croit encore à des codes d’honneur qui n’ont plus cours, ne dépareillerait pas dans l’univers de Melville ou dans des polars américains comme Échec à l’organisation. Le récit lui-même est, par ailleurs, construit comme une tragédie où les différents personnages courent sous nos yeux à leur perte. Avec ses retournements de situation, ses révélations progressives sur les différents personnages et un récit d’une parfaite limpidité, le résultat est d’une efficacité redoutable.
L’ensemble est, en outre, tenu par une réalisation globalement habile qui, si elle ne révolutionne pas le genre, suit les codes du film noir avec un réel savoir-faire. Qu’on se souvienne de la danse de Barbara Bouchet dans le club, de la jolie fusillade savamment orchestrée ou de la façon générale dont les personnages sont filmés pour se rendre compte combien Fernando Di Leo est un habile metteur en scène. On appréciera, enfin, dans ce polar plutôt sec et carré de l’introduction d’une bonne d’humour qui permet aux spectateurs d’être toujours à la juste distance du récit. Le final n’en est ainsi que plus jouissif.
7,5