Je pense de plus en plus souvent que je n'ai rien à faire parmi les critiques de cinéma qui foisonnent sur le site et que je devrais me consacrer seulement à la critique des romans (et un peu à la musique). En effet ce film est unanimement considéré par mes éclaireurs les plus fiables comme une réussite de David Fincher, qui est lui-même considéré comme un réalisateur de talent, capable de réussir aussi bien Benjamin Button que Gone Girl, ce que j'approuve sans réserves. Je suis tout prêt à accorder à Fincher le mérite d' avoir fait une adaptation fidèle, sobre et efficace et néanmoins rythmée du roman Millenium. Pour les mouvements de caméra je me contenterai de paraphraser en disant qu'ils servent à la perfection les dialogues. Je suis on ne peut plus d'accord pour trouver de même les acteurs excellents, à commencer par Rooney Mara, qui est vraiment la Lisbeth du roman au-delà de ce que j'imaginais.
Mais il reste que l'enthousiasme n'était pas vraiment de la partie, ce qui peut sembler normal compte tenu du sujet qui traite de la confrontation de deux solitudes : la solitude de chefs d'entreprise friqués face à celle de journalistes tirant le diable par la queue, sur un fond de société suédoise individualiste et glacée. David Fincher ajoute à cela une touche de désillusion générale, comme dans Zodiac, afin de nous préparer à l'irruption de l'horreur surgissant au sein de la monotonie.
A l'inverse le livre permettait d'entrer sans mélancolie et sans ennui aucun, dans les recherches minutieuses de l'enquête elle-même ou dans les méandres du monde de la finance, en faisant des digressions avec les histoires de cul du protagoniste principal. L'investigation dans le monde des affaires, concernant les agissements du financier Wennerström, qui revient au premier plan à la fin du livre, une fois l'enquête terminée, est fort habilement peu évoquée dans le film. Pourtant le sujet tenait à cœur à Stieg Larsson, lui-même journaliste économique. Les nombreuses informations sur les montages financiers, sur la spéculation boursière et sur le gangstérisme de certains hommes d'affaires sont toujours bonnes à lire et à relire.
Et la partie traitant de la religion et des évangiles apocryphes qui a pu en ennuyer plus d'un, et qui n'est qu'une part annexe du roman m'a réellement étonné. En effet la violence qui se dégage des textes religieux est associée (un peu artificiellement) aux pratiques du tueur en série. Pensant que c'était de l'invention de la part d'un auteur de gauche athée, j'ai recherché sur Internet au hasard le chapitre sur la Lévitique 20:27, un des six mentionné sur l'incitation cléricale au meurtre sanguinaire. Et la citation est en tout point conforme au livre, preuve de la terreur que voulait provoquer d'une façon sadique certains membres du clergé chez leurs ouailles afin de mieux les contrôler.
Si un homme ou une femme ont en eux l'esprit d'un mort ou un esprit de divination, ils seront punis de mort; on les lapidera: leur sang retombera sur eux.
Dans ce cas aussi fort raisonnablement le sujet religieux a été seulement évoqué dans le film.
Et le dernier paradoxe c'est que le film m'a paru plus ennuyeux que les heures passées à lire les 600 pages du bouquin. Un découpage un peu trop rapide pour moi. Trop d'informations à assimiler, trop de personnages, trop de lieux différents en 2 heures 30. Et qu'est-ce que ça aurait été si je n'avais pas lu le bouquin avant !
Donc le film est très bien pour quelqu'un n'ayant pas le temps de lire, étant très fidèle au roman, mais pour le plaisir de s'immerger dans l'enquête, pour l'analyse critique sociétale, pour la description des problèmes d'un journal, rien ne vaut le bon vieux bouquin.