S’il y a bien un grand monsieur du cinéma qui nous a quitté trop tôt, c’est Satoshi Kon. Parti en 2010 à 46 ans à peine, il laisse derrière lui quatre films composant le début d’une œuvre unique et inégalable. Je pense que le mot « œuvre » n’a jamais été aussi approprié qu’ici, tant ses films sont connectés entre eux. Satoshi était en train de créer quelque chose d’immense, il avait une vision, un dessein, que seule la mort est venu contrecarrer.
Satoshi, c’est le maître de la réalité subjective et de la mise en abîme. Pas seulement avec Paprika, où il s’en donne à cœur joie en inventant le concept d’Inception, mais dans l’ensemble de son œuvre. Il n’y a pas une histoire linéaire, mais des couches de scénario à la fois superposées et reliées entre elles. Le tout forme un ensemble complexe, cohérent et fascinant. Il y a quelque chose de divin d’ailleurs à proposer des idées aussi complexes tout en donnant autant d’émotions au spectateur.
Dans Millenium Actress, alors que les souvenirs d’une actrice à la retraite émergent lors d’une interview, ceux-ci sont brillamment entremêlés avec des scènes de ces anciens tournages. En plus de ces deux premières couches, les fantasmes et les rêves de l’actrice viennent encore se mêler au récit. La capacité de montage pour faire de ces trois prismes une seule et même épopée fluide, est absolument bluffante. Le but de Satoshi est de nous faire perdre toute notion de lieu et de temps.
On essaiera bien de capter chaque petit détail, de relever les indices pour distinguer le vrai du faux. Mais rapidement le doute s’installe, et c’est vite peine perdue. Reste à se laisser porter par le courant, à se laisser guider par le maître, à écouter la symphonie d’un maestro.
Avec Millenium Actress, Satoshi Kon a repoussé les limites du storytelling. En ne partant de quasiment rien, il est parvenu en 87 minutes à fusionner 1000 histoires en une. Les connexions ne sont pas hasardeuses mais le fruit d’une intelligence créative folle. Les possibilités sont alors infinies et les seules limites sont celles de notre imagination.