Mirage
7.6
Mirage

Film de Tsui Siu-ming (1987)

Avant d'aborder ce film, il est important de faire un bref retour sur la carrière de Tsui Siu-Ming. Réputé pour être l'un des meilleurs chorégraphes de Kung-Fu, pour avoir tourné avec des grands noms tels que Yuen Woo Ping. Il a toujours été la pierre angulaire d'un genre, un nom primordial de la Shaw Brothers. N'étant pas metteur en scène de profession, il s'est essayé à quelques réalisations qui brillent notamment par leurs technicités précises et grandioses. Le sommet de son art étant atteint dans Mirage, film connu des fans du cinéma hongkongais, mais très peu du grand public.

L'apothéose d'un genre nait d'un chorégraphe talentueux, tout est prétexte à la sensation orgasmique, sans pour autant délaisser le reste, mais rien n'a plus d'importance qu'une telle maîtrise technique, la quintessence du film d'action, elle est là. Sans oublier qu’à cette époque, il y avait bien moins de films de kung-fu que dans les années 70 à Hong Kong, les sujets traités se voulaient bien plus intimistes, évoquant la question sociale du pays. Bien qu’en parallèle naissait l’Heroic Bloodshed, avec des films comme Le Syndicat du Crime de John Woo. L’industrie souhaitait se renouveler.

Tsui Siu-Ming n'a pas eu le succès qu'il méritait, sans doute dû à son arrivée tardive dans le paysage cinématographique du pays. Souvent très en retrait dans les productions HK, trop peu d'années le sépare de la rétrocession du protectorat britannique à chinois. 

L’histoire en elle-même n’est pas crédible, mais on y croit. Dès la première scène le film invoque notre suspension d’incrédulité. Dans un paysage désertique, des hommes assoiffés observent un mirage commun, montrant une femme semblant être socialement privilégiée. Le film, c’est l’histoire de cette quête. Sous ses airs de Lawrence d’Arabie, Mirage convoque corps et décors, se la joue fresque épique à la David Lean, sans oublier d’être un film épique de son pays.

Le film ressent constamment le besoin d’avancer, de taper à l’œil du spectacle et de le surprendre en proposant du renouveau constant.

Bien que l’histoire est un prétexte à innover les techniques, on ressent un tas d’inspirations cinématographiques. L’intention d’être un film d'action ultime se ressent dans ses intentions quasi-baroques, grandiloquentes au possible, foudroyantes par son utilisation réfléchie du cinémascope et de ses cascades toutes aussi dangereuses les unes que les autres. Le côté très excessif nous rappelle le cinéma de Sammo Hung, mais ici il y a un cachet spectaculaire en plus. Le film repousse sans cesse ses propres limites, dans un crescendo ahurissant.

La BO est magnifique, James Wong, le compositeur d’Histoire de fantômes chinois nous berce par une mélodie convoquant les sens, mêlant aux images sublimes de ce désert, une réelle poésie ponctuée d’un mysticisme qui n’oublie pas d’être épique.

Yu Rong Guang n’a pas réussi à trouver réellement sa place dans le cinéma, enchaînant malheureusement les seconds rôles, à l’exception d’ici et des immenses Iron Monkey et Taxi Hunter. Il est un véritable acrobate, insufflant une dose d’adrénaline à chacun de ses gestes.

Le reste de la distribution est assez aléatoire, même si certaines têtes sont plutôt connues du public hongkongais. En effet, Deon Lam et Cho Wing sont de la partie.

Les scènes de kung-fu sont grandioses, alliant plans-séquences et coups millimétrés. Les personnages interagissent avec les éléments du décor, rien n'est vain et laissé au hasard. Les coups ne manquent pas d'impact, le côté très caricatural renforce le caractère aphrodisiaque de l'œuvre, un simple plaisir sensationnel où l'instant fait partie du voyage, où le voyage n'est qu'émotions techniques. Plus rien d'autre n'existe, si ce n'est notre propre jouissance. Ce ne sont peut-être pas les scènes de kung-fu les plus viscérales qui existent, mais leur générosité égalerait presque celles d'un Tsui Hark ou d'un Liu Chia-Liang.

Les gunfight, eux, sont dans la continuité de ceux que nous réservent John Woo dans les années 90, mais sans leur côté tragique et dramatique. Certains raccords passent assez mal, mais les effets pratiques et le sens acrobatiques des acteurs et figurants rattrapent les quelques faiblesses du montage. Les films de la Shaw Brothers, en général, étaient assez mal montés dans l’ensemble, si l’on excepte les fulgurances des génies du genre, Liu Chia-Liang et Chang Cheh pour ne citer qu’eux.

Bien que Tsui Siu-Ming n’ait pas réalisé beaucoup de films, on lui reconnait un amour inconditionnel pour les explosions, et pour l’esthétisation de ces dernières, n’hésitant pas à les faire durer comme l’a fait le grand Michelangelo Antonioni.

Le festival d’action ne s’arrête pas là, vu qu’il y a aussi des cascades en moto, nous rappelant l’exubérance de The Heroic Trio de Johnnie To. Impossible d’oublier la séquence de la moto enflammée par les barils d’essence qui explosent. Des chevaux ont aussi été utilisés pour le tournage, l’un semblait blessé, l’était-il réellement ? Si c’est le cas, ce choix de réalisation est à blâmer.

Revenir sur le talent des cascadeurs est primordial, étant donné qu’il représente le cœur du film. Comment ne pas être impressionné face à des acteurs et figurants qui se donnent autant à fond pour une œuvre, n’hésitant pas à risquer leurs propres vies. Bien évidemment, Jackie Chan par ses cascades dans de nombreux films, Police Story pour ne citer que lui, repoussait la frontière entre fiction et réalité en se mettant constamment en danger.

Mais ici, c’est vraiment tout le monde, comme si le film était un rite, et que la mort faisait partie de sa conception. La séquence de la chute de la falaise, où l’acteur ne se tient qu’à une corde est juste impressionnante, le fait que l’action se passe dans un même plan sans coupe, renforce la fureur de la scène et fait directement échos à la mort qui rôde dans chaque plan.

Il faut aussi souligner que gérer autant de figurants n’est pas une tâche facile. Malgré le budget assez restreint, le réalisateur arrive à rendre crédible les différentes batailles. Le 2 :35 était un parti risqué car montre l’étendu des décors, seule une mise en scène de talent pouvait réussir à donner de l’ampleur aux confrontations, et c’est chose faite. On ressent l’immensité des décors, même si Siu-Ming a tendance à resserrer ses plans lors des combats corps à corps. On pourrait penser que c’est dû au budget restreint, mais ça créé une réelle continuité. On ne se perd pas dans l’action, bien qu’elle soit bourrine.

Malheureusement, le film est aujourd’hui très peu connu à l’étranger. Il n’y a eu aucune remasterisation, et ce n’est pas demain qu’elle apparaitra. Il faut simplement se contenter d’une copie VHS d’époque d’assez mauvaise qualité. Espérons que ce mirage devienne un jour plus qu’une illusion, en trouvant sa place dans les bacs, en cinéma, ou en VOD, car ce film représente une quintessence cinématographique.

Paul-SAHAKIAN
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films H-K/Chinois/Taïwanais vus et 2023, objectif : 200 films (j'aurais pas le temps d'en voir plus) EDIT : FINALEMENT SI

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le 29 nov. 2023

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Paul SAHAKIAN

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