Après un dernier film, Viens je t'emmène, plutôt en deçà du reste de sa filmographie, Guiraudie frappe fort en 2024 en nous offrant ce qui sera sans doute l’une de ses plus belles réussites.
Miséricorde retrace l’arrivée de Jérémie, interprété par Félix Kysyl, dans un village isolé au nord de Toulouse. Jérémie revient pour assister aux funérailles du boulanger, avec qui on comprend qu’il a entretenu une relation dans sa jeunesse. S’ensuit une série de rencontres entre Jérémie et les habitants du village, marquées par des dialogues imprégnés d’une tension sexuelle sous-jacente.
Après avoir annoncé son intention de s’installer durablement chez la veuve du défunt, Martine — incarnée avec brio par Catherine Frot — Jérémie se heurte à l’hostilité de Vincent, le fils du boulanger et de Martine, interprété par le réalisateur Jean-Baptiste Durand, qui lui demande de partir. Cette confrontation, teintée de sous-entendus sexuels, prend une tournure tragique lorsque Jérémie finit par tuer Vincent.
L’esthétique du film, il faut le dire, est particulièrement saisissante. Les paysages, qu’il s’agisse de la forêt ou du village de campagne, sont magnifiés à l’écran ; Guiraudie prouve encore une fois qu’il excelle dans l’art de faire vibrer sa région natale à travers des plans contemplatifs. Il nous présente un village isolé, presque caricatural dans son dénuement, peuplé de quelques personnages dont l’activité principale semble se limiter à la cueillette de champignons. Ce décor minimaliste devient le théâtre d’échanges où le désir et la tension sexuelle occupent une place centrale, quasi dominante. Pourtant, aucune relation sexuelle ne sera consommée durant les 103 minutes, un choix narratif qui accentue la frustration latente.
L’esthétique épurée, le rythme lent et l’approche quasi naturaliste contrastent habilement avec le propos subversif du film, qui constitue d’ailleurs sa grande force.
Car oui, le propos est extrêmement subversif, à commencer par le meurtre de Vincent, qui s’inscrit dans une bagarre sans réelle justification morale ou humaine. Ce meurtre prend la forme de l’assouvissement d’un désir gratuit, d’une pulsion de mort inexplicable. Jérémie ne donnera d’ailleurs aucune explication claire, confessant même ne pas comprendre ce qui l’a poussé à aller si loin.
Ce meurtre, que tous devinent être le fait de Jérémie, y compris la mère de Vincent, le gendarme et bien sûr le curé, semble malgré tout être "pardonné". Mais pardonné au nom de quelles valeurs ? Du désir sexuel, de l’envie de vivre, de jouir ?
Dans Miséricorde, le pardon trouve son origine dans le désir. Le summum de la transgression est atteint lorsque l’absolution est accordée par le curé du village lui-même, qui choisit de dissimuler un crime qu’il connaît bien, non pas au nom du pardon chrétien, mais par un désir charnel. Dans une scène emblématique, typiquement guiraudienne, le prêtre, interprété par Jacques Develay et âgé de plus de 70 ans, est montré dans un réalisme brut, dévoilant son sexe en érection, en une transgression absolue de ses vœux.
Le film se termine sur un plan où l’on voit la mère de Vincent, la victime, accepter Jérémie dans son lit. On comprend aisément qu’elle sait ce qui s’est passé, mais qu’elle choisit de passer outre, car elle désire cet homme, l’assassin de son fils et ancien amant de son défunt mari.
En somme, Miséricorde est une pépite du cinéma français et probablement l’un des films les plus marquants de Guiraudie.