La vérité c’est ce que l’on ne voit pas voire ce que l’on ne veut pas voir. Beth (Sissi Spacek) aura des mots similaires lors d’une séquence du film, en s’adressant à son beau-père Ed (Jack Lemmon). Ceci semble être une constante dans le cinéma de Costa-Gavras, c’est du moins ce que l’on retrouvera quelques années plus tard dans le magnifique autant que terrifiant Music box.
La réussite tient ici dans l’alchimie réussie entre l’aspect documentaire du film et son penchant romanesque. Le coup d’état de Santiago (ce que l’on ne cite jamais, pas de Pinochet, pas de 1973, le cinéaste préférant intégrer le récit de manière entièrement intime, introspective) et la disparition d’un citoyen américain. La disparition et le coup d’état. La disparition dans le coup d’état. Montrer ce qui a précédé l’événement, puis montrer les recherches. Nous ne verrons rien de cet enlèvement, au mieux des images comme reconstructions possibles de mémoires diverses, sublime scène où l’enlèvement est montré à plusieurs reprises suivant la manière de le raconter du témoin. Le cinéaste a d’ailleurs l’idée ingénieuse durant le film d’une sorte de montage parallèle, afin de confondre les temporalités, de faire comme s’il existait deux présents. Jusqu’ici je n’avais vu cela que dans un seul film : JFK de Oliver Stone. Ainsi, le film débute avant l’enlèvement et effectue ensuite une cassure montrant l’enquête s’effectuant un mois plus tard. Le fait de parfois revenir vers ces images du passé dans lesquelles nous avons baigné au début permet une concordance présent/présent que je trouve fascinante. C’est à dire que l’on est, et peu importe le moment où l’on se place dans le récit (avant l’enlèvement de Charles le 16 septembre ou un mois après son enlèvement) dans le documentaire, jamais dans le souvenir, jamais dans la fiction comme on a l’habitude de la voir. On baigne dans le drame mais le film donne l’impression première de ne pas en être un. La forme ne diffère pas suivant la temporalité, le rythme non plus et les séquences choisies peuvent tout aussi bien relever de la banalité dans un cas comme dans l’autre. C’est comme si nous voyions deux films. C’est la première chose qui me passionne dans Missing.
La deuxième c’est la dynamique avec laquelle le récit parvient à s’imposer. Le film prend une ampleur considérable, politique autant qu’intime et on a l’impression que Costa-Gavras ne se laisse jamais dépasser par son double sujet, qu’il ne délaisse jamais le documentaire au profit du romanesque et vice-versa. Qui aujourd’hui peut se targuer, et au moyen d’une dynamique aussi trépidante, de s’en sortir aussi bien sur les deux tableaux à part David Fincher ? Le film ne parle même pas de disparition, nous n’en verrons jamais l’envers, il se focalise sur l’enquête (maints échanges avec l’ambassade américaine), le constat du réel (le chaos) et sur la mélancolie qui s’abat sur ces deux personnages que l’événement a rapprochés pour la première fois. Je crois que c’est pour cela que je préfère Missing à Busic box (mais entendons-nous bien ils sont pour moi tous deux magnifiques) car j’aime ce qu’il dit sur ce qui rapproche les membres d’une famille autrefois sans accroche. Il y a une séquence de vidéo familiale où un père redécouvre son fils, en tout cas son image, que je trouve absolument bouleversante. Les personnages auront été confrontés à ces vérités. Un fils qui s’est éloigné et un père qui a laissé faire parce qu’il était son exact opposé, un père et un fils qui se sont perdus. Un fils enlevé et exécuté, probablement pour avoir été un peu trop gênant. Deux vérités que l’on refuse de voir et d’admettre. Un père d’un côté, une femme de l’autre, tous deux avides de savoir, puis perdus, puis terrassés. Le film rejoint entièrement les thèmes chers à Costa-Gavras en même temps qu’il radiographie une période de l’histoire, en y laissant ses zones d’ombres, ses invraisemblances. Missing s’inspire de faits réels. Il est donc aussi un vibrant hommage à ces scandales beaucoup trop gros pour ne pas être honteusement étouffés.