Jennifer Kent revisite la genèse du cinéma en choisissant pour le traitement graphique de son film l’illusion, l’apparence trompeuse (bel hommage à Méliès entre autre). Et là où le distributeur nous assure pour une promotion racoleuse, que le film se situe sur la lignée d’un « Conjuring » ou d’un « Rosemary’s baby » (rien que çà !), on s’attendait, avec un peu d’appréhension tout de même, au mieux à un film d’épouvante flippant, au pire à une daube aussi consommée qu’oubliée. Il n’en est rien ! « Mister Babadook est avant tout un film profondément ancré sur la psychologie, une sorte de thriller psychanalytique. Toute représentation réaliste (la folie) est ici intentionnellement évitée. Kent s’appuie sur le mythe du croquemitaine qui s’attaque à Amélia, veuve inconsolable et à son fils aussi perturbant que perturbé. C’est le schéma classique. Le monstre s’invite, s’immisce et sévit. A la première lecture, tous les poncifs du genre s’y concentrent : maison lugubre, sons et bruits suspects et stridents, musique flippante, invasion d’insectes… Mais, dès le début de ce film, on sent que le propos se situe ailleurs, qu’il y a une dimension supplémentaire qui vient transcender le surnaturel. Un montage nerveux, des flash back troublants et décalés, des visions d’horreurs, sont autant de scènes où la peur se concentre non pas autour de l’enfant, mais bien de la mère qui se délite humainement au fur et à mesure de la progression du récit. On pense bien sur à « Shining », à « Amityville » ou « Insidious », où là aussi l’icône parentale s’effondre. Mais à la différence de ces œuvres, les dernières scènes de « Babadook » viennent confirmer nos soupçons, on se remémore tout ce que l’on vient de voir, le puzzle nous apparaît et nous scotche. Jennifer Kent, nous a leurré pour mieux nous cueillir ! Et ce n’est plus aux maîtres du genre horrifique auxquels on pense, mais bel et bien à Murnau (certains plans de « Faust », « Nosferatu » ou de L’aurore » sont quasiment repris) qui n’a eu de cesse, avec ses paraboles expressionnistes, de montrer le combat incessant entre lumière et ténèbres. Kent accentue encore cette impression surréaliste avec une technique pointue et très étudiée avec ses jeux de clairs obscurs, cette palette de couleurs éteintes, ses prises de vue tranchées et ses belles perspectives. Un ensemble qui participe à la peur (celles de l’enfance notamment) et l’angoisse (la perte de la raison). On a rarement atteint un tel sommet de psychologie autour d’un personnage. On pourrait évoquer « L’emprise », « L’Orphelinat » ou encore « Fragile », mais ici on touche la perfection sur ce jeu d’illusions qui place l’optique sur les méandres les plus profonds de l’esprit.