Blanche Whale et les sept mers
Lorsque que John Huston décide de s'embarquer à bord du Pequod au côtés du capitaine Achab (prononcer "Héhab"), il sait sacrément bien que les écueils sont nombreux, et les récifs acérés. Le roman de Melville compte, depuis sa sortie un siècle auparavant, parmi les ouvrages les plus lus et aimés aux états-unis et dans pratiquement tous les pays anglo-saxons.
Les principaux dangers sont classiques: retranscrire le style alors encore assez unique de Melville, fait de mélange d'aspect poétique et de description très réaliste du milieu marin. Et surtout, mettre en image ces très nombreuses scènes de mer et de combat avec Moby Dick.
L'adaptation de l'aspect littéraire est complètement réussi, pas tellement grâce aux quelques voix-off d'Ishmael (on a ainsi droit au "call me Ishmael" inaugural et indispensable) mais bien pour les quelques fulgurants monologues ou dialogues ponctuant le film.
A ce titre, le sermon d'Orson Welles, qui campe un père Mapple biblique, est un moment prodigieux. Debout sur sa chaire en forme de proue, il égrène un laïus qui a failli me faire mettre pause et me précipiter au monastère le plus proche. La scène est servie par une photo prodigieuse, baignant dans les tons pastels brossés, et confère à l'ensemble une touche mystique à se faire damner un libertin échangiste.
La folie grandissante de Achab, à qui Gregory Peck impeccable donne un vrai souffle marin, donne elle aussi matière à de très beau moments textuels.
Si l'ensemble baigne d'ailleurs dans un jus cléricale épais (ce sont principalement des Quakers de la nouvelle Angleterre et c'est historiquement valable de restituer ce contexte) ce n'est pas pour autant manichéen: Melville et Huston montre jusqu'à quel point les hommes s'accommodent de leurs croyantes et dogmes quand la réalité les frappe de plein fouet: des propriétaires du bateau qui acceptent la non-chrétienté d'un harponneur pour peu qu'il fasse preuve de son talent dans son domaine, de la capacité des marins à coexister immédiatement avec un "cannibale" (fabuleux Queequeg joué par Friedrich Von Ledebur) jusqu'à la résignation d'un Starbuck qui ne suit pas les volontés supposées de Dieu parce que pas suivi par ses "collègues" lorsqu'il veut mettre fin aux agissements de Achab.
La partie récit de mer est un vraie réussite. Les manœuvres sont à la fois explicites et visuelles, les termes traditionnellement abscons de bateau (vergue, ris, misaine et autres mâts d'artimon) prennent sens, et même les chants entendus au cours des manœuvres sont réels (je sais, je les ai reconnus de mon précieux "Rogue's Gallery", disque de chants de marins et de pirates initié par Verbinsky et Depp à la suite du succès de pirate des caraïbes).
Les personnages secondaires sont tous admirables, Harry "Stubb" Andrews en tête, et le plaisir d'embarquer est réel.
Alors oui: les scènes de chasses à la baleine résonnent de manière pour le moins étrange à nos yeux contemporains. Entendre la justification religieuse de cette pratique est à la fois surprenante et édifiante.
Certes, la bateau ne semble pas énormément bouger dans les plans d'intérieur.
Et oui, en effet, les scènes finales contre le "monstre" blanc ne feront pas partie des moments inoubliables du 7eme art pour leur côté indémodable. Les effets visuels de l'époque sont datés, mais cela fait aussi le charme de l'expérience cinéphilique. On ne voit pas un film de 1956 ver les mêmes yeux qu'un film sortis la semaine dernière. Et ce qui ne se retrouve pas d'un simple point de vue "effet" se rattrape aisément grâce à d'autres qualités: ici, la narration, les acteurs, les dialogues.
Il n'empêche. Les bons et grands moments ne manquent pas et justifient pleinement un visionnage de ce classique, plus de 50ans après sa création.
Un détail, en passant, qui fait un poil froid dans le dos: sur les 15 principaux acteurs de Moby Dick (et on est pas dans un film noir et blanc muet du début du siècle dernier, hein ?), plus aucun n'est vivant aujourd'hui. Brrr..