Ne sommes-nous en train d'oublier la valeur inestimable du système de solidarité et de sécurité sociale qui nous entoure ? N'assistons-nous pas à un perte de mémoire collective sur les luttes passées et acharnées qui ont conduit à ces acquis sociaux ? Notre Etat Providence ne risque t'il pas d'être démantelé dans l'indifférence générale ?
A travers une superbe fable humaniste, l'infatigable Ken Loach soulève ces questions fondamentales dans un contexte où les récentes politiques d'austérité ont profondément fragilisé les mécanismes de sécurité sociale de nos sociétés occidentales. Or, ce n'est que lorsque nous sommes privés de nos libertés et de nos droits que nous prenons conscience, tardivement, de l'importance cruciale de l'Etat Providence. Tel semble être le cas au Royaume-Uni, où l'orthodoxie budgétaire a accéléré la privatisation d'une partie du service public de l'emploi. Tel est le cas en Espagne, au Portugal ou en Grèce où le respect de la règle sacrée d'un déficit inférieur à 3% du PIB a conduit à des réductions budgétaires inégalées. Tel pourrait être le cas en France si nous continuons de croire que la seule cause de nos problème réside dans le fait que nous payons trop d'impôts.
Cette solidarité collective a un coût, indéniablement. En France, les dépenses de la sécurité sociale représentent 33% de notre PIB. Est-ce trop selon vous ? Moi, Daniel Blake nous démontre que l'absence de solidarité publique a un coût encore plus grand : une destruction lente, douloureuse et impitoyable de millions de personnes que les aléas de la vie - la maladie, une crise économique - les conduisent à perdre leur emploi. L'absence d'Etat Providence c'est ce que nous montre Ken Loach : une société dans laquelle le service public devient une activité lucrative impersonnelle, une société dans laquelle seule subsiste une fragile entraide citoyenne, une société dans laquelle les souffrances personnelles sont muselées.
Malheureusement, face à ce replis inexorable de l'Etat, la réaction la plus commune ne semble pas être celle de Daniel Blake, celle de la lutte optimiste et de la générosité sans limite. Bien au contraire ... Partout, les partis populistes florissent, le replis sur soi s'accentue, la faute est rejetée sur les étrangers et l'altérité, la confiance en notre système politique s'évapore. La victoire du camp du Brexit, le succès de Donald Trump, la montée du Front National sont autant d'indicateurs éminemment inquiétants de cette tendance. Les inquiétudes citoyennes face à la crise économique, la mondialisation et la perte de repères sont exploitées jusqu'à présent avec succès par des mouvements dont le seul but est d'accéder au pouvoir, ni plus ni moins.
Face à ce constat bien sombre, le film de Ken Loach est un cri de révolte salutaire, un coup de gueule implacable. Mais voilà une critique bien trop politique me direz vous, qui manque cruellement d'analyse filmique. Mais le cinéma c'est également çà : une fenêtre ouverte sur notre monde, un regard libre sur notre réalité. Moi, Daniel Blake nous dévoile l'histoire de ces personnes que nous croisons indifféremment tous les jours, sans nous soucier de leur réalité. Moi, Daniel Blake nous expose, au delà des clichés manichéens, les injustices sociales qui se jouent sous nos yeux endormis.