Comme son héros, cette Palme d’or ne paie pas de mine. Or c’est justement dans sa modestie et sa fine ironie que le film puise sa puissance évocatrice. Une pudeur dont la force s’exprime pleinement à travers ses personnages, criant, hurlant de vérité.
Ce n’est pas une nouveauté, Ken Loach livre par essence un cinéma engagé, presque enragé. Mais sa grande réussite est d’y associer son spectateur, de le faire adhérer (parfois malgré lui) à cette révolte, et ce malgré le manichéisme dont il peut, à juste titre, être taxé. La bienveillance de ses héros, leur peu de méchanceté et de cynisme pourraient être une limite au discours. Il n’en est rien car ils servent de décodeurs humains (et humanistes) aux aberrations d’une société qui a sombré depuis longtemps dans la crise. Moi, Daniel Blake stigmatise la privatisation des services publics (ici le « Pôle Emploi » britannique), sa déshumanisation jusqu’à l’absurde et les situations dramatiques parfois ubuesques dans lesquelles sont plongés les citoyens les plus vulnérables. Cet abandon des laissé-pour-compte cristallise les tensions qui minent les populations, mais met aussi en exergue une solidarité qui, fort heureusement, en est son pendant naturel. Cette solidarité s’exprime dans la relation quasi filiale, parfois bouleversante qui se lie entre Dan et Katie (saisissante Hayley Squires).
Ken Loach traite cette misère sans misérabilisme, la précision de sa mise en scène en disant beaucoup en montrant peu, même lorsqu’il évoque les situations les plus dures et les plus humiliantes pour ses personnages. La pertinence politique de son propos et la chaleur avec laquelle il le traite font de Moi, Daniel Blake un grand film social et humaniste.