I Daniel Blake est la preuve que l’on peut faire des chefs d’œuvres avec peu de moyens, beaucoup de talent et énormément d’humanité. J’ai vu ce film à de nombreuses reprises et à chaque fois, des sentiments de compassion et de mal-être silencieux m’ont imprégné. Comment ne pas se sentir révolté par la réalité de Dan, menuisier de 59 ans subissant les incohérences d’une bureaucratie lourde et insensible. Comment ne pas se sentir touché par Katie et ses deux enfants, âmes combatives qui tentent contre vents et marées de s’en sortir. Comment ne pas se sentir touché, par cette exposition accrue des plus vulnérables à l’injustice.
Revenons-en à Dan. Victime d’un infarctus foudroyant, il voit son salaire s’envoler et la précarité pointer le bout de son nez. Pour ce jeune veuf, les seules solutions qui s’offrent à lui sont claires : soit il retrouve son travail qui le passionne, soit il touche des indemnités de maladie. Rien de plus logique, après tout, après un infarctus. Eh bien détrompez-vous, ce n’est pas si simple et intuitif. Pour son médecin, il n’est plus en mesure de travailler car son cœur demeure fragile, tandis que du point de vue des services sociaux, il n’est pas « assez atteint » pour recevoir les allocations nécessaires. Tel un Sisyphe poussant son rocher, commence alors le parcours du combattant pour Dan, qui va devoir faire preuve de combativité et d’abnégation pour tenter coûte que coûte de réintégrer ce système. Système dont on croirait presque qu’il ne veut plus de lui.
Ken Loach dépeint avec beaucoup de tact, de délicatesse, de sensibilité et parfois même d’humour, le combat d’un Homme d’une dignité sans égale, obligé de se mettre à genoux face à aux aberrations administratives propres à nos sociétés actuelles. Cette soumission de certains individus aux organismes administratifs, qui dictent leurs ordres sans ciller, démontre à quel point la dignité n'est qu'une utopie, à l'heure où les résultats et la performance ont pris le pas sur le respect et l’humanité.
Cette fable contemporaine soulève un autre point extrêmement pertinent, conséquence du premier vu plus haut : celui de la fracture numérique. Dan, ouvrier extrêmement compétent, passionné par un métier qu’il exerce depuis quarante ans, se retrouve désemparé, humilié face à un simple ordinateur. Ou cliquer ? Comment écrire ? Comment faire bouger la souris ? Ces questions qui nous semblent évidentes, nous, enfants de la fin du XXème siècle, le sont beaucoup moins pour d’autres. La dématérialisation des tâches administratives n’est pas une aubaine pour tous, loin de là. Nous ne pouvons négliger ces milliers de personnes comme Dan, pleines de bonne volonté et d’entrain, oubliés par la fameuse "vague digitale"...
Par sa construction et sa narration, le film démontre que cette fracture numérique couplée à la l'absurdité des règles établies, peut mener à bout certaines existences.
Cette œuvre est une ode à la dignité, à l’amour et à la persévérance. Plus qu’un drame social, c’est un réquisitoire pour ces oubliés qui parviennent à garder la tête haute, malgré la noirceur qui les entoure.