Premier long métrage d'une trilogie retraçant le quotidien de hauts dignitaires historiques Moloch présente donc Adolf Hitler dans toute son intimité. Eventuel "film de famille" du chancelier nazi Moloch est une sorte de portrait morbide dudit dictateur, exclusivement concentré sur une courte période et sur un décor unique : le fameux Nid d'aigle, lieu dont l'architecture pré-brutaliste et la verticalité sont savamment reconstituées par Sokurov.
Baignant dans une lumière aigre et verdâtre Moloch reste très certainement la biographie filmique la plus singulière et la plus pertinente jamais réalisée sur Hitler. Si en effet Sokurov élude toute forme de péripéties ou d'objectifs narratifs c'est pour mieux s'attarder sur les relations que le führer entretenait avec ses proches : Bormann et Goebbels mais surtout Eva Braun, amante passionnée d'Adolf alias Adi... En bon film de pure situation Moloch dilate la durée de ses plans pour mieux pénétrer l'intériorité d'une figure capricieuse et total(itair)ement délirante, figure dont la folie reste ici éloquemment présentée au gré de vérités absurdes, de clichés ridicules ou de catégorisations vaniteuses.
C'est sous le regard faussement anodin proposé par Alexander Sokurov que Moloch brille de sa fascinante beauté... Comme entre deux-eaux morales le film ne cherche ni à sublimer ni à complètement enlaidir le dictateur, préférant jouer la carte du grotesque effrayant. De ce point de vue là le métrage est une grande réussite, du casting finement élaboré à l'écriture rondement travaillée par le réalisateur à partir de documents historiques - documents authentiques pour la plupart. En outre l'esthétique romantique allemande, loin d'être absente des images et du propos, se voit ici intelligemment décrépite par tout le travail exécuté sur la texture des plans : huileuse, visqueuse, cadavérique presque la plastique de Moloch demeure un petit modèle de technicité et d'adéquation scénaristique.
On est en droit de ne pas apprécier ce film au coeur duquel il ne passe effectivement pas grand-chose, bien que l'intérêt soit ailleurs que dans son récit somme toute assez modique. Il reste en revanche passionnant dans son aspect purement historique et cinématographique, d'autant plus qu'il demeure parfaitement représentatif de l'Oeuvre d'Alexander Sokurov. Du grand cinéma, terrible et décadent, à l'image de son sujet.