Que dire qui n’a pas déjà été martelé par les critiques quasi unanimes ? Le dernier film de Dolan résonne comme un chef d’œuvre tenu par des acteurs virtuoses à l’interprétation délicate et intensément juste, comme un diamant sans polissure porté par un regard jeune et averti, une oreille sensiblement définie – qui sait ce qu’elle veut sans pour autant nous le dire.
Le didactisme, le narcissisme et la fragilité du Dolan des Amours imaginaires ont disparu dans Mommy. Le format a enfin trouvé sa voix, sa raison d’être dans l’aventure tourbillonnante de Steve et de sa mère pleine d’amour et de désespoir, permettant à Dolan de se risquer à des prises de vue improbables qui nous enivrent et nous bousculent tout en nous tenant enfoncés dans notre siège rouge, comme paralysés. Par ce format, Mommy est d’abord une expérience de cinéma, un affrontement de l’événementiel. Aller voir Mommy le cœur léger, c’est sortir de la salle avec le cœur retourné, malaxé, désaxé tant le fond et la forme de ce film cherchent à nous surprendre et nous bousculer. D’abord pris dans l’humour enivrant des personnages qui luttent contre leur situation et le regard de la société, on se retrouve rapidement enfermé dans une angoisse, celle de ne pas savoir que penser, ni même que faire, si l’on doit fermer les yeux et prier que ça s’arrête ou les garder grands ouverts dans l’espoir d’une réponse, d’une solution absolue qui n’arrivera jamais.
L’époustouflant de ce film, c’est d’abord le doigt tendu de Dolan à tous ces biens pensants. Peu importe si l’on s’offusque, les personnages eux divaguent, divergent, délirent dans un monde si proche du réel qu’on en oublierait la fiction. Le souffle du spectateur n’est jamais totalement retrouvé. Ce souffle que Dolan confie au personnage de Kyla, cette femme qui arrive comme une délivrance, une douceur dans un monde brute et rugueux, ne nous est jamais vraiment donné. Chaque scène nous percute dans ce qu’elle a de bon et d’atroce, de drôle et de terriblement dramatique. Somptueuse ode à la nature humaine, Mommy casse les codes de la famille, de l’amitié de l’amour, pour explorer les failles de la conscience qui sans cesse font briller l’immoral comme une vérité à laquelle personne n’échappe.
Inclassable comme tout grand film, Mommy dépasse le drame familial, la satire sociale, le film d’auteur et tente une définition du sublime – quand le beau est si beau qu’il en devient laid, quand le laid et si laid qu’il en devient magnifique – qui semble, sans aucun doute, réussie.