Depuis quelques années maintenant Cannes a droit à son chef d’œuvre, un film qui emporte tout sur son passage, qui balaye toutes les certitudes. En 2012 ce fût Holy Motors puis l’année passée c’était au tour de La vie d’Adèle de sortir la Croisette de sa grisaille. Si sur ces deux films un seul remporta la Palme du jury, l’autre remporta la Palme du cœur.
Xavier Dolan réalise ici son 5ème long-métrage et livre le meilleur film de 2014 qui est paradoxalement son film le plus simple, mais aussi le plus réussi. Dans Mommy, le pitch est très simple : un ado dangereux du fait de son hyperactivité que sa mère, à peine plus stable que lui, doit prendre en charge. On aurait pu redouter le mélo qui prend de haut ses personnages de la classe moyenne pour en faire des victimes mais c’est sans compter sur le regard de Dolan qui ne les juge jamais.
Le film commence tambours battants si bien que l’on se demande comment on pourrait tenir 2h15 à ce rythme. Ici, vient frapper pour la première fois la magie du film, et plus généralement du cinéma de Dolan tout entier, l’étourdissement. Mommy n’est pas un film que l’on regarde, c’est un film que l’on vit. Dès lors, le spectateur doit s’engager totalement dans ce qu’il voit et là frappe l’étourdissement. Il s’agit de passer par tous les états émotionnels possible afin d’avoir accès à une expérience totale du cinéma.
Cette expérience est rendue possible par le trio d’acteurs géniaux qui compose le film. Anne Dorval & Antoine Olivier Pilon forment un duo mère-fils excellent que Suzanne Clément vient compléter. Ici, l’idée de “compléter” semble essentielle surtout lorsqu’il s’agit de parler de Dolan, lui qui depuis J’ai tué ma mère creuse les affects à la recherche de ce vide à combler.
Dans le film, cela peut se traduire au niveau du langage, auquel Dolan attache une importance particulière comme dans toutes ses oeuvre précédentes. La mère et le fils s’expriment d’une façon très fleurie et rapide tandis que Kyla, la voisine d’en face, bégaie. Les situations des personnages dans les films de Dolan semble toujours pouvoir verser dans le ridicule, cela n’est jamais le cas, et surtout pas dans Mommy.
Formellement, le film est très beau. Le format carré opère un resserrement sur le visage des acteurs qui conduit à une empathie plus forte de la part du spectateur. Ce format qui s’ouvre deux fois dans le film pour laisser place à deux moments de pur bonheur, de liberté totale et, du point de vue du spectateur, d’émotion intense. Cette intensité, voire parfois hystérie, est la caractéristique du film, on passe du rire aux larmes et on adore ça.
Comment un film peut-il nous laisser à ce point vidé de toutes nos émotions ? Il s’agit là de la magie du film de Dolan qui captive du début à la fin sans jamais lâcher le spectateur mais sans le tenir par la main non plus, en cela qu’il n’est jamais question de jugement. C’est un film qu’on ne voudrait jamais cesser de regarder tant il nous fait prendre conscience que les relations et les émotions qu’il dépeint sont éphémères et précieuses et dont l’apogée se situe au moment de l’inexorable séparation.
En deux films, Laurence Anyways et Mommy, Xavier Dolan a prouvé au monde qu’il ne méritait plus son étiquette de petit génie mais bien celle de grand cinéaste. Et à l’heure où il est récompensé par le Prix du Jury à Cannes et qu’il prononce un discours poignant sur la jeunesse, il s’agit simplement d’être conscient d’assister à la consécration d’un cinéaste d’une génération, de notre génération.