Terriblement bien joué.
Anne Dorval, déjà excellente dans le 1er film du réalisateur, est méconnaissable. A un tel point que j'ai du vérifier une seconde fois que c'était bien l'actrice qui tenait le rôle. La mère coincée, passive dans J'ai tué ma mère, laisse place à la maman extraverti, à fleur de peau et terriblement attachante du 2ème. Antoine Olivier Pilon, qui incarne son fils, impose sa fougueuse jeunesse et distille son naturel par sa partition de jeune ado désabusé et en mal d'amour. Suzanne Clément, toujours discrète, est quand à elle dans la bonne gamme, le ton juste. Xavier Dolan assume beaucoup plus la direction d'acteur avec la justesse qui lui est propre sur la lucidité et la complexité des relations humaines : évitant à tout prix la caricature, " voulant simplement filmer les gens de mon quartier " comme il dit, les personnages finissent par vivre par eux-même. Si l'implication des acteurs joue une bonne part, Dolan trouve encore une fois une infinie justesse dans la représentation de ses personnages. Drôles, marginaux et infininiment attachants.... ( Je dois avouer que j'étais plutôt soulagée quand j'ai vu que Dolan ne jouait pas dedans... )
Terriblement bien écrit.
Et là encore, c'est le jour et la nuit : les péripéties archétypes de l'adolescent insupportable laisse place à des dialogues tous aussi savoureux les uns que les autres. Les situations banales deviennent magiques. La profondeur des rôles est, derrière leurs apparentes simplicités, un vecteur pour toute sortes d'émotions intenses : de la joie au drame, du malaise au rire, c'est un yo-yo sentimental, des boomrangs émotionnels. Dur de ne pas lâcher une larme. Et si les personnages peuvent paraîtres à des années lumières de nous, le film possède cette magie unique de nous transporter à leurs côtés, en immersion quasi documentaire dans leurs quotidiens.
Terrible est la forme.
Pour faire du formel, Dolan sait y faire. Très jolie, pleins de couleurs fluos et de musiques hipsters... Mais là encore, le Dolan immature laisse place à propositions assumés. L'usage du 1 : 1, qui en a énervé et apparement choqué plus d'un, n'est certes, qu'un tour de passe-passe peut-être convenu. Mais dans l'intention, cela touche juste, encore une fois. Alors que le 16/9ème apporte un enjeux sur l'homme et sur son environnement ( de fait quand l'écran s'élargit c'est bel et bien quand est enfin à l'aise avec le monde qui l'entoure et ses proches), le 1 : 1 et comme le 4/3 dans une autre mesure, apporte une dimension plus humaine et terriblement plus intimistes. Une prise d'otage visuelle, pour mieux apprécier la liberté.
Et que dire de la B.O... et oui, Dolan sait tellement y faire que " On ne change pas " de Céline a réussi à me donner la chair de poule.
Du coup, ce film, je ne l'ai vraiment pas vu venir. M'attendant à une énième farce convenu, j'en ai oublié que Dolan a pris quelques années et que cette maturité semble faire des prouesses totales de Mommy. Ce qui est formidable, c'est de ne partir quasiment de rien. Pas besoin d'effets spéciaux, de sang, de sexe, de complots, de guerre et de super-héros. Dolan nous prouve que la base du cinéma, c'est l'émotion, l'intention. Portant un regard infiniment tendre sur les gens de " son quartier ", il n'oublie pourtant pas son thème fétiche : la marginalité.
D'une infinie tendresse, porté par des acteurs survoltés ( mention à Anne Dorval, phénoménale ), Dolan trouve enfin l'équilibre qui lui faisat défaut dans son 1er film : une esthétique qui répond à une intention et un scénario aboutit qui apporte profondeur et complexité aux rôles. Pourtant agacée par la forme facile du premier, j'en aurais presque demandé plus pour celui-là, tellement ce film est foisonnant, de sentiments, d'humour...bref, d'émotions diverses et variées, cathartiques et salutaires.
Le cinéma de Dolan avait l'air immature, insolent, talenteux mais superficiel. Avec Mommy , il démontre qu'il sait provoquer sans surenchère, émouvoir sans geindre et surtout, diriger des acteurs, avec un trio Dorval, Clément et Antoine Olivier Pilon au sommet.
L'humain reste la base du cinéma et Dolan le démontre encore par ce film : une jolie lumière et une jolie photo ne font pas tout, et la cohérence entre le fond et le forme, son intentionalité se doit d'être assez subtile pour se questionner, assez visible pour émouvoir.
Mommy émeut, et même si la caricature n'est jamais loin, le québécois ne se moque pas : c'est toujours avec une infinie tendresse que sont représentés ces " gens du quartier ".
Bref, terrible.