Et si l’une des victimes d'Harvey Weinstein, incapable de repousser son agresseur, lui tirait une balle dans la tête ? Est-ce de la légitime défense ? Et à quoi ressemblerait le procès pour un tel crime ? Je n'ai pas la réponse, mais c’est une façon d’interpréter Mon Crime, le nouveau film de François Ozon. Les similitudes sont trop évidentes pour être ignorées.
Paris dans les années 1930, Madeleine (Nadia Tereszkiewicz) est une jeune actrice séduisante, mais "sans le sou", qui vit avec sa colocataire Pauline (Rebecca Marder) avocate. Madeleine rend visite à un producteur de cinéma puissant dans le milieu, afin d’obtenir un rôle dans sa prochaine production. Mais au cours du rendez-vous, le producteur s’avère être un prédateur sexuel. Le lendemain, on le retrouve mort à son domicile. Madeleine est accusée (et elle s'accuse) de l’avoir tué avec sa propre arme, car au bout du procès il y a argent, gloire et succès.
On est vraiment dans la veine théâtrale de François Ozon, de 8 Femmes en passant par Potiches. C'est rythmé (trop rythmé ?), c'est amusant (mais pas toujours) et c'est glamour (parfois vulgaire aussi). C'est du théâtre filmé, il faut que les dialogues soient enlevés. Sauf que moi, j'ai très vite envie de dire "enlevez des dialogues !". C'est vraiment trop écrit, les répliques fusent et ça en devient très vite épuisant. Comme dans 8 Femmes, François Ozon accentue à l'extrême la théâtralité des dialogues, des décors et des situations. Mais honnêtement, ça passe un peu mieux ici dans Mon Crime, car je le sens plus à l'aise dans le vaudeville que dans la comédie musicale ... même si le vaudeville, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé.
Au début du film, il faut bien trente minutes avant de s'habituer (ou plutôt de tolérer) au rythme effréné des dialogues et à la diction si particulière (sous-entendu très théâtrale) des acteurs et actrices. J'ai vraiment eu peur du désastre, mais fort heureusement, on finit par s'y habituer et la dernière heure trente passe beaucoup mieux. Les décors, la photographie, la mise en scène et tout la direction artistique sonnent très vintage et collent parfaitement avec le ton général du film (aka une pièce de théâtre filmée).
Mon Crime c'est à première vue une pièce de théâtre misogyne, avec un producteur libidineux qui profite de son statut pour abuser sans vergogne des femmes. On pense forcément à l'actualisé, avec MeeToo et l'affaire Harvey Weinstein, mais ici il ne s’agit pas d’une analyse sérieuse sur l'abus du pouvoir et de la violence à l'encontre des femmes. Il y a bien une tentative de dénonciation, puisque les deux jeunes femmes arrivent, d'une certaine manière, à s'émanciper et à servir d'exemple pour toute la société (une forme de féminisme). Mais si ce discours est bien présent, il reste en toile de fond, car le film se veut avant tout être drôle et pétillant.
François Ozon capture parfaitement le style des années 1930, y compris le jeu exagéré des acteurs, les dialogues percutants et les rebondissements qui n'en finissent plus (toujours plus improbables les uns après les autres). Il est clair qu'il s’est beaucoup amusé à faire ce film. Il insère des petits morceaux de films dans le film (dans le style du film muet) et utilise tous les lieux les plus mythiques de Paris. Et puis, il y a Isabelle Huppert et Fabrice Luchini qui s'en donnent à cœur joie. Tous deux s'amusent follement et nous amusent beaucoup par la même occasion. Ils se donnent la réplique dans l’une des scènes les plus mémorables du film, si ce n'est la plus mémorable. Isabelle Huppert joue de son image de grande actrice et c'est jubilatoire de voir à quel point elle peut faire preuve d'autodérision et de panache, à maintenant 70 ans.
Mon Crime, c’est un film très long à démarrer, très inégal, mais assez divertissant (on ne s'ennuie pas une seule seconde). C'est à la fois un film qui se revendique ouvertement féministe, mais qui manipule l'opinion publique pour arriver à ses fins et par conséquent pour nous amuser, nous spectateurs.