Pour la plupart des gens d'aujourd'hui, les comédies françaises ne semblent avoir existé qu'à partir du couronnement de Louis de Funès en monarque incontesté du box-office. Ce qui est regrettable, car le genre regorge de pépites bien antérieures. Et la décennie 1930 est loin d'en être avare.
Certes, elle contient un nombre non négligeable de navets (rien qu'avec une très bonne louchée des Fernandel, on aurait de quoi cultiver tout un champ !), avec des intrigues rachitiques ainsi que des mises en scène inexistantes (se contentant de filmer le plus platement possible !), s'appuyant juste sur le nom d'une vedette de l'époque. Mais à côté de cela, il y a quelques excellents crus (ne serait-ce qu'avec les Guitry, il y aurait de quoi se constituer un cellier !). Et il y a aussi quelques grands noms qui sont la promesse d'un spectacle savoureux, comme... Sacha Guitry, bien sûr, Raimu, Jules Berry, Michel Simon, Saturnin Fabre entre autres. Des artistes exceptionnels qui en font dix mille tonnes, mais qui le font sacrément bien. J'en reprendrais bien matin, midi et soir, à l'heure du goûter aussi, de ce cabotinage énorme, absolument brillant. Les dialogues, mon Dieu, un régal d'esprit et de drôlerie, qui se sert admirablement de la grande richesse de la langue de Molière. Et des intrigues qui n'hésitent pas parfois à aller loin dans le quiproquo, dans un grotesque, pouvant confiner à l'absurdité.
J'ai rédigé cette introduction assez longue, qui ne parle qu'à très peu d'entre vous, pour mieux souligner combien je ne peux qu'être touché qu'un réalisateur (en l'occurrence le prolifique, l'inégal et l'éclectique François Ozon !), en 2023, rend hommage à tout un pan entier injustement oublié du septième art hexagonal.
Et il en reprend la majorité des caractéristiques. Mon crime est adapté d'une pièce de théâtre (j'ajoute que ça se déroule en 1935 !). Les acteurs et actrices en font dix mille tonnes. Les dialogues sont un régal. Et ça va loin dans le quiproquo, dans un grotesque, pouvant confiner à l'absurdité. Seule différence notable : ce n'est pas en noir et blanc. Mais, là encore, ça ramène aux années 1930, car la photographie s'inspire des couleurs particulièrement vives que l'on peut retrouver dans certaines images d'archives datant de cette période.
Bon alors... pourquoi, au-delà de cet aspect hommage, réaliser un tel film maintenant ? Ben, parce que l'histoire a un fond résolument féministe, faisant écho à notre chère époque. Rien que la séquence d'ouverture annonce très bien la couleur... séquence d'ouverture lors de laquelle un des deux protagonistes féminins, actrice ratée de son état, quitte précipitamment une résidence de luxe francilienne après qu'un producteur a tenté d'utiliser le prétexte du casting pour être en mode Weinstein. Et le fil scénaristique, ce sont nos deux héroïnes, l'une donc l'actrice ratée susmentionnée, l'autre avocate sans clientèle (à celles et ceux qui doutent qu'ils puissent y avoir des avocatEs au moment durant lequel se passe l'action, ben... dans le mélodrame Abus de confiance d'Henri Decoin, sorti en 1937, Danielle Darrieux en incarne une !), qui vont utiliser la connerie profonde et l'immoralité, guidant la société patriarcale ainsi que ses représentants les plus puissants (pourris, hypocrites et intéressés jusqu'à la moelle !), pour servir leurs intérêts respectifs. Évidemment, ça injecte un côté jouissif tout du long.
Par contre, malheureusement, l'ensemble pâtit d'une grosse faiblesse qui n'est pas sans préjudice, du fait, inévitable, de son temps d'apparition important à l'écran, car celle-ci réside dans ses deux jeunes premiers rôles, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder. Elles sont toutes mignonnes. Et aussi bien la blonde que la brune ont un physique qui n'aurait pas détonné dans un film des années 1930. Mais, dans des compositions (aussi bien l'une que l'autre !) dans lesquelles aurait brillé sans conteste une pétillante Danielle Darrieux (à qui Ozon ne manque pas de rendre explicitement hommage en faisant assister ses deux personnages principaux à une projection de Mauvaise graine, coréalisé par un certain Billy Wilder, avant que ce dernier se décide à traverser l'Atlantique pour nous honorer d'une géniale carrière de réalisateur-scénariste, bourrée de chefs-d'œuvre absolus !), elles ne parviennent pas à être à l'aise pour ce qui est d'en faire dix mille tonnes.
Et cela ne fait que s'accentuer quand on les compare à des vieux de la vieille, pleinement à l'aise pour ce qui est d'en faire dix mille tonnes (comme les comédiens d'antan cités précédemment !), à l'instar de Fabrice Luchini, d'André Dussolier ou encore d'Isabelle Huppert (aussi magistrale dans l'extravagance que dans la froideur !), qui sont ici des dangers pour les zygomatiques. D'ailleurs, au passage, il y a une véritable perle d'absurdité dans l'humour noir que j'ai kiffée à fond lors d'une confrontation entre Luchini, en juge d'instruction, dont le souci de servir la vérité n'est guère flamboyant, et Huppert... bref, je vous laisse le plaisir de la découverte. Même, plus modestement, un jeunot comme Édouard Sulpice (donc ce n'est pas une question de génération, mais de talent !) se démerde beaucoup mieux dans le registre des dix mille tonnes. En résumé, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder passent physiquement très bien à l'écran, pas du tout sur le plan du jeu.
C'est dommage, mais bon, ce qui le serait encore plus, ce serait de passer à côté d'une comédie, agréablement rétro, avec une bonne pointe de fond bien contemporain, qui a des arguments positifs à proposer, aussi bien pour les cinéphiles, avides de dénicher des références, que pour les "simples" spectateurs qui veulent visionner un film devant lequel ils ne vont pas connaître une seconde qui soit autre que divertissante.