Qu’ils sont beaux, qu’ils sont « parfaits » ces films d’engrenages tueurs d’hommes, ces films qui font fuir la vérité inexorablement, sous les yeux d’un protagoniste éperdu, confit par la fascination, et ceux d’un spectateur dans l’attente insoutenable de la Révélation.
Je ne connaissais pas Joseph Losey et Monsieur Klein semble être son film le plus connu. Il a l’air d’un réalisateur qui maîtrise parfaitement son sujet, « à l’ancienne », net et sans bavure, du style Melville. « On commence ici et on termine là. Le personnage va marcher, beaucoup marcher, parler peu, regarder surtout, ne rien comprendre à rien, et aura un caractère attachant, sans être angélique pour autant. » C’est très bien, j’aime ça.
Cadrages propres, sens du suspense inné, musique savamment dosée, et surtout direction d’acteurs au poil : la mécanique fonctionne du tonnerre. Ce Delon vieillissant a gagné en maturité, dans le jeu, dans la mine. Les yeux s’effacent à moitié derrière les cernes, et c’est surtout la stature, l’aplomb et la voix qui confèrent à l’acteur une grande part de son charisme à l’écran.
Un Paris sous l’Occupation plus vrai que nature sert de scène silencieuse, au petit matin ou durant le couvre-feu, à cette tragédie absurde qui se décante comme le meilleur des vins. Tractions-avant noires ronronnantes qui déversent leur flot inquiétant de képis et de capes sombres ; trottoirs gris détrempés aux tristes mines ; kiosques à journaux auxquels sont suspendus les derniers numéros de Signal… tout respire bien la Seconde Guerre mondiale dans ces décors, c’est-à-dire le désastre de la résignation et la honte de la collaboration vichyste.
Losey fait cependant le pari de montrer tout cela de la perspective supposément détachée et objective du protagoniste. Un homme qui porte un regard cynique et froid sur la situation, tout en en reconnaissant, lorsqu’elle l’atteint directement, le danger et le caractère univoque. Véritable exemple de film fuyant, sans morale distincte, Monsieur Klein est une leçon de cinéma qui se termine, beauté suprême, avec le despotisme rugueux des très grands films.