Dans un contexte de la fin du mythe de la "France résistance", depuis la révolution paxtonienne (La France de Vichy, publié en 1972) Franco Solinas et Costa-Gavras trouvent une idée de scénario à partir de l’évocation d'un personnage témoin de l'Histoire, Marius Klein, dans Le Chagrin et la Pitié (1971) de Marcel Ophüls. L'homme est un commerçant clermontois qui avait écrit, au cours de la guerre, une annonce dans un journal local pour faire savoir que son nom n'est pas juif et qu'il est de confession catholique. Costa-Gavras désire Belmondo pour le rôle, ce qui ne se ferra pas en raison d'une blessure du comédien. À la recherche de nouveau projet à produire Delon est conquis par ce scénario dont le personnage principal lui ressemble en tout point (collectionneur d'arts, personnage qui se cherche, jusqu'auboutiste). Delon toujours intéressé va chercher Joseph Losey avec qui il avait tourné L'Assassinat de Troskty (1972) pour réaliser le long métrage. Le nouveau metteur en scène ajoute des scènes supplémentaires au scénario faisant écho à son parcours d'artiste américain ostracisé en raison du maccarthysme (étant communiste).
À sa sortie le film est boudé par Cannes et puis quelques mois après par le public de Delon qui préférera la même année aller voir vers Peur sur la ville (1976) de Verneuil avec Belmondo. Heureusement les Césars 1977 l'ont récompensé (meilleur film, réalisateur et décor). Sans doute le public n'était pas près à voir un film au sujet si sensible voire tabou. Cet échec a été dur à encaisser pour Delon. C'est par ailleurs durant cette même période que disparaissent ses maîtres spirituels : Melville (mort en 1973), Visconti (mort en 1976), Gabin (idem) ou encore René Clément (dernière réalisation en 1975). Mais Dieu merci, ce film a fini par être réhabilité par le temps.
On dit que c'est le dernier chef d’œuvre où Delon a tourné et je suis assez d'accord. Si la mise en scène est assez sombre le film n'en reste pas moins très puissant. L'absence de bande originale au film contribue sûrement à faire ressortir toute l'atmosphère d'époque voulue par le réalisateur : froide, austère et policière. Si l’œuvre de Losey n'échappe pas au anachronismes, l'ambiance parisienne sous l'Occupation en 1942 est minutieusement reconstitué s'appuyant sur des sources historiques solides.
Robert Klein a beaucoup en commun avec Delon, ce qui explique sûrement pourquoi je trouve que c'est le meilleur rôle de sa carrière. L'acteur disait toujours qu'il "vivait ses personnages". Ici jamais je n'ai vu Delon aussi en colère (scène de confiscation des biens). L'itinéraire de son personnage kafkaïen tient en haleine tout le long du film. Évidemment le reste de la distribution est impeccable : Michel Lonsdale, Francine Bergé, Jeanne Moreau, Jean Bouise, etc.
En résumé Monsieur Klein est un film bien plus riche qu'il ne peut le sembler. Je salut de le courage de Delon (qui a investi de sa poche en tant que producteur) et de toute l'équipe du film de s'être lancé dans un projet aussi ambitieux quitte à prendre des risques pour surprendre ses spectateurs.