Nous savions que le cinéma américain était particulièrement patriote dès lors qu’il s’agissait de glorifier ses combattants. Nous ne le savions pas aussi manichéen sur le sujet si marginal, d’un point de vue historiographique, de la sauvegarde de l’art européen.
Renouant avec un cinéma qui mise sur la grandiloquence de son casting plus que sur le fonds historique, George Clooney rassemble ses amis (Matt Damon, Bill Murray, Cate Blanchett, John Goodman et le petit nouveau Jean Dujardin) pour jouer, à défaut d’incarner, les Monuments Men, groupe mandaté par Roosevelt pour suivre les Alliés afin de récupérer les œuvres d'art dérobées par les nazis.
Ne tournons pas autour du pot. Les Américains représentent le Bien qui se définit par opposition au Mal incarné naturellement par les nazis mais aussi par les Russes, victimes de la ritournelle hollywoodienne qui les présente comme des pilleurs de trésors aussi vils que les Allemands.
Précisons tout de même que Lynn H. Nicholas avait montré dès 1994 dans "Le pillage de l’Europe" que les Américains s’étaient engagés dans une course contre la montre pour récupérer et voler les œuvres d’art avant l’arrivée des Russes. Seule la pression internationale les obligea à restituer les œuvres d’art à leurs propriétaires, ce qui a permis aux États-Unis de se forger une légende dorée a posteriori sur leur rôle dans cette mission.
Si nous quittons le territoire historique, celui du cinéma ne viendra pas sauver le film. Avec la fanfare d’Alexandre Desplat, rarement aussi mauvais, hésitant entre l’hommage aux plus grandes comédies de guerre (au premier rang desquelles « La Septième compagnie ») et les mélodies dramatiques d’« Il faut sauver le soldat Ryan », le film échoue sur une réalisation plate et sans saveur et des performances d’acteur à la limite du risible.
La malheureuse Cate Blanchett, qui joue la Française Rose Valland, en est le plus parfait exemple. Pour éviter aux spectateurs américains des sous-titres qui monopoliseraient leurs capacités intellectuelles, un tour de passe-passe scénaristique permet le passage des dialogues entre Cate Blanchett et Matt Damon du français à l’anglais. Or l’actrice australienne doit alors déclamer des dialogues grossiers en anglais avec un accent français. En ressort un gloubi-boulga linguistique qui écornerait presque l'image de l’élégance féminine si bien incarnée au cinéma par Cate Blanchett.
Nous ne pourrons pas non plus nous taire sur la scène si polémique des tonneaux de dents en or trouvés par les Monuments Men. Quand Matt Damon se rend compte que ce sont des dents, les images de la Shoah assaillent nos esprits. Le choix de lancer le thème si guilleret du film à ce moment-là paraît maladroit, si nous voulons rester polis. Les penseurs du cinéma se sont livrés de rudes batailles esthétiques pour moins que cela sur la représentation de la Shoah (« le travelling de Kapo »).
Pour conclure, une question nous taraude : où est l’Art ? L’enjeu du film est bien celui du combat, parfois mortel, de quelques hommes pour sauver les trésors de l’Humanité. Or quatre ou cinq tableaux ou sculptures à peine sont filmés qui plus est en plan fixe, froidement et sans passion. George Clooney perd toute crédibilité lors de ces rares séquences où l’Art était censé être célébré. Les préoccupations du cinéaste américain n’étaient pas historiques ou artistiques, elles étaient amicales.
George Clooney a réalisé son caprice : celui de tourner avec de vieux amis et parfois des nouveaux comme Jean Dujardin qui, dans le film, porte un toast à son entrée dans les Monuments Men. Nous sommes incapables de ne pas y voir le reflet de son intronisation au sein de la grande famille d’Hollywood. Manichéen, peu soigné et travaillé, sans intelligence, "Monuments Men" est un film raté.