Ni documentaire, ni film biographique, ni concert filmé mais quand même un peu de tout cela, cette expérience cinématographique est une sublime plongée dans l’univers beau, complexe et passionnant de David Bowie.
Il est délicat de s’atteler à un film dédié à la mémoire de David Bowie. Lui-même se voyait comme une toile sur laquelle il n’a cessé de peindre, projeter et modeler, créant ainsi une multitude d’images marquantes indissociables de sa musique. C’est justement à cette énorme banque d’archives (plus de 5 millions de documents) rassemblées par Bowie et sa famille qu’a eu accès le documentariste Brett Morgen. Pendant plus de deux ans, il s’est plongé dans cette caverne d’Ali Baba pour en ressortir avec une œuvre qui décoiffe, surprend et probablement le plus bel hommage filmique qu’on ait pu faire à cet homme qui venait d’ailleurs.
Dès l’ouverture sur les étoiles et la Lune avec Bowie en voix off qui s’interroge sur la fugacité de l’instant, qui ni ne commence ni ne s’arrête, le ton est donné. On n’est pas face à un documentaire académique mais plutôt dans une « expérience cinématographique » alternant montages d’images d’archive, concerts filmés et l’artiste himself en commentaire, le tout baignant dans des vignettes visuelles rappelant 2001 l’Odyssée de l’Espace. Cet étrange cocktail d’images et de sons fonctionne incroyablement bien, surtout dans sa première heure. On a beau être perdu par cet apparent chaos narratif, la puissance des images, la beauté des couleurs et l’ampleur du son sont saisissantes. Même sans connaître les détails de la vie de la star, on parvient parfaitement à saisir la démarche complexe de ce métamorphe éternel. L’approche sensorielle et intuitive de Brett Morgen illustre merveilleusement bien la volonté de donner du sens au chaos exprimée par Bowie tout au long de sa carrière.
Dans sa deuxième heure, le film a beau progresser sur l’évolution de son personnage, le rythme ralenti, les images se répètent, les propos se contredisent. Si cette baisse de rythme se fait au détriment du spectacle, elle n’en demeure pas moins hyper cohérente avec les deux motifs potentiellement contradictoires qui obsèdent Bowie. D’un côté le fil au long duquel on naît, on se transforme, on évolue et on finit par mourir. En face, le cycle et ses éternels recommencements, sans début ni fin. Le film parvient ainsi à superposer ces deux motifs qu’il met en avant dès son générique en marquant les lettres « o » et « i » qui composent le nom d’artiste de David Robert Jones. On n’en ressort pas forcément plus éclairés sur la biographie du rockeur (pour cela, il y a des documentaires Arte et Wikipédia). Toutefois, en nous propulsant de la sorte dans son univers très cinégénique, on cerne un peu mieux l’essence même de la démarche artistique polyèdre de Bowie. Quand on sait que le rockeur a toujours fui les étiquettes et le catalogage, cela tient de la petite merveille.