La lune en plein jour, c'est ce que le masqué a d'abord pensé voir à l'écran.
La propre lune de Roland Emmerich, qui lui montrait sans honte et sans pudeur, tellement il pensait que Moonfall se roulait avec délice dans les pires poncifs du genre catastrophe, qui a dangereusement tendance, par exemple, à faire crever les beaux-pères, à jouer sur la corde sensible des traumas familiaux, ou encore à encourager le sacrifice tartinouille.
Et puis, quand on ouvre un film sur Patrick Wilson qui massacre Africa, le tube immortel de Toto, ou quand on fait dire à son personnage de geek obèse en babygros qu'il souffre du syndrome du colon irritable, on peut légitimement penser que le réalisateur se fout quand même un tout petit peu de notre gueule.
Comme quand on torche une introduction littéralement aux fraises, au terme de laquelle on ne comprend absolument rien des relations entre les personnages.
Comme lorsqu'on fait fi, a priori, et encore plus que d'habitude dans le genre, de toute logique ou de toute articulation dans les scènes d'action, tout en semblant se perdre dans un sérieux papal.
Sauf que Roland Emmerich ne faisait jusqu'ici que cacher son jeu et ses aspirations.
Car Moonfall n'est pas un film catastrophe, comme on a sans doute dû vous le dire.
Non, Moonfall est un film de science-fiction. Et sans doute le meilleur d'entre tous.
Et cela, le masqué l'a compris en prenant de plein fouet un twist proprement hallucinant que le réalisateur germanique et son acolyte Harald Kloser, co-scénariste d'une virtuosité sans égale aujourd'hui, nous réservaient.
Et après ce twist, qui ne sera pas dévoilé ici, le masqué a vu la lumière, tout simplement. Et a pleuré toutes les larmes de son corps devant les émotions à fleur de peau mises en images par Roland.
Parce qu'il ne peut que conduire le public estomaqué devant tant de coeur, d'audace et d'innovation à reconsidérer ce qu'il vient de voir, tant Moonfall acquiert, à partir de ce moment, une logique imparable et une articulation démentielle de précision métronomique dans son action.
Ainsi qu'une puissance dans son discours qui ne peut que pousser à réfléchir et à remettre en cause ses certitudes de cinéphile, qui entame dès lors un voyage spirituel vers un nouvel âge réminiscent du genre science-fiction.
Un cinéphile qui relativisera dès lors, et de manière immédiate, la perfection froide du 2001 : L'Odyssée de l'Espace d'un Kubrick un poil constipé, ou encore le lyrisme un peu toc du Interstellar d'un Chris Nolan qui doit, aujourd'hui, pleurer comme un gosse devant le camouflet infligé par l'outsider Roland Emmerich que l'on n'aurait jamais attendu à pareille fête. Et qui convoque tour à tour, en matière de références picturales, Théodore Jéricault, Bosch et le Caravage, livrant au public une perfection graphique de chaque instant. Pour aller jusqu'à reprendre les obsessions phalliques gigeriennes, en les poussant vers un terrain que le maître suisse n'aurait jamais osé explorer.
J'imagine sans mal que les habituels thuriféraires se sont déjà déchaînés sur le site, oscillant entre l'étron et le nanar, qualificatifs qu'ils utilisaient déjà, dans un copié/collé paresseux prêt à l'emploi, pour décrire la Resurgence du classique Independence Day.
C'était attendu, sauf que Moonfall dépasse tout simplement de telles descriptions à l'emporte-pièce. Pour mieux s'imposer comme le pionnier, et le plus beau représentant, de la SF post-post-moderniste, que le film inaugure tout en tuant dans un même geste assuré toute tentative ultérieure de dépasser l'oeuvre de Roland Emmerich.
Le film, sans surprise, sera démoli, conspué, ringardisé, qualifié de suicide culturel. Sauf que les années 2020 du média cinéma ne méritent tout simplement pas de voir un film aussi terminal et définitif que Moonfall, tout comme les années soixante n'étaient pas prêtes pour apprécier 2001 : L'Odyssée de l'Espace, ou les années 2000 pour recevoir le choc de Mission to Mars.
Au point que dans cinquante ou soixante ans, les grands livres d'histoire du cinéma balayeront les avis pisse-froids d'aujourd'hui, pour ne retenir, dans un subit accès de lucidité inattaquable, qu'il y aura eu un avant et un après Moonfall.
Et rien que pour cela, on ne peut que remercier Roland Emmerich.
Behind_the_Mask, la lune dans le caniveau.