Difficile d’écrire une critique sur Moonlight, le film abordant des thématiques sociétales sur lesquelles je ne me sens pas experte. Cependant, le film m’ayant beaucoup plu, je me dois de faire un essai.
Moonlight est un très beau film, que ce soit sur le fond ou la forme. Il y règne une ambiance particulière et difficile à décrire : à la fois poétique, onirique et violente, tendue. Des termes qui peuvent paraitre antithétiques mais qui cohabitent très bien ici. Si les trois actes sont réussis, le film monte crescendo en tension jusqu’à parvenir à la libération finale du personnage principal, ou du moins à un début de libération. D’ailleurs, il en est de même pour la photographie qui se magnifie au fur et à mesure du film, en commençant par cette scène au ralenti où Naomie Harris hurle sur le petit Chiron, enveloppée dans un halo fuchsia. Violent et sublime à la fois.
Le film est porté par un casting irréprochable. Mahershala Ali et Naomie Harris délivrent tous deux des performances poignantes, Janelle Monae est très attachante. N’oublions pas non plus les prestations des différents interprètes de Kevin et surtout de Chiron, qui même s’ils ne se ressemblent pas physiquement au fil des trois actes, créent parfaitement l’illusion. A noter au passage une alchimie renversante entre Trevante Rhodes (Chiron) et Andre Holland (Kevin) dans le troisième acte. Bref, une direction impeccable de la part de Barry Jenkins.
Moonlight possède bien sûr un côté universel, avec des thématiques dans lesquelles nombre d’entre nous pouvons nous reconnaître ou tout du moins comprendre. Le sentiment de décalage, d’abandon, d’incompréhension… Impossible de ne pas compatir avec Chiron dont les silences pèsent autant, voire plus, que ses mots. Quelle tristesse de voir un petit garçon se renfermer si tôt sur lui-même, victime des brimades de ses camarades, brimades qu’il n’est même pas en âge de comprendre. Quelle tristesse de voir ce renfermement persister, ces sentiments contenus jusqu’à l’étouffement, entrecoupés par de rares pleurs ou explosions de rage en public. L’histoire tragique d’une identité qui ne peut pas s’exprimer.
Cependant, il est à mon sens important de ne pas effacer le contexte du film. Chiron est un enfant/adolescent/jeune homme noir vivant dans un quartier de Miami et cet environnement joue un personnage à part entière dans le film. Chiron est confronté à des problématiques différentes d’un jeune homme blanc de classe moyenne, ou d’un asiatique vivant en milieu aisé. Il doit faire face à une communauté où règne de façon exacerbée l’hyper-masculinisation, où l’homosexualité est considérée comme l’insulte suprême à l’image du « mâle ». L’homophobie y est d’ailleurs complètement banalisée… Dans combien de morceaux de hip-hop pouvons-nous entendre le mot « faggot » comme si cela faisait partie du vocabulaire normal ?
Ainsi, Moonlight me parait être un film précurseur et primordial car il aborde un thème jusqu’ici jamais ou très peu abordé, tout du moins à ma connaissance. Il y a quelque chose de percutant en l’image de Chiron taillé dans le roc, dealer intimidant, vêtu comme l’archétype du gangster et… gay. Oui, gay. De même, il y a quelque chose de rafraîchissant et réconfortant en l’image de Juan, à l’allure du gangster typique mais pourtant si tolérant, si compréhensif. Les personnages mis en scène dans Moonlight, très nuancés, renversent les stéréotypes habituels et, je l’espère, en feront réfléchir plus d’un. En tout cas, une chose est sûre, c'est de ce genre de personnages dont nous avons besoin.
Il me semble approprié de conclure cette critique par un extrait du très joli speech de Mahershala Ali aux SAG Awards : « We see what happens when we persecute people. They fold into themselves. […] Juan was playing a gentleman who saw a young man folding into himself as the result of the persecution of his community. And taking the opportunity to uplift him. Tell him that he mattered. That he was okay. And accept him. And I hope that we do a better job of that. »