D'une grande émotion, Moonlight nous saisit là où on ne s'y attend pas. Dans un paysage similaire à Precious, quartier difficile de Miami, on suit trois étapes de vie d'un être en devenir, en quête d'identité et de sa place parmi les autres. Introverti, il cherche des réponses car il n'arrive pas à s'identifier face à ses camarades qui se moquent de lui car il serait différent. Moonlight aborde cette question du bouc émissaire, de l'enfant rejeté injustement par les autres, et c'est dans cette incompréhension et ce rejet que se forge une identité influencée par l'image qu'on projette sur lui, loin de toute liberté de penser et d'existence. Le propos est délicat et sensible et ce n'est qu'à partir de la deuxième partie qu'on s'aperçoit qu'on est face à un chef-d'oeuvre d'authenticité, à la fois vibrant par ses acteurs et lyrique par sa mise en scène. Barry Jenkins saisit une véracité propre à tout être et le transmet brillamment à l'écran : comment se construit-on sous l'influence d'une personne qui nous protège ou face à une majorité qui nous domine et nous écrase ? Comment avançons-nous ? Quelle image on désire refléter ? Mais aussi, qu'est-ce que l'amour ? Car cette question, aussi futile soit-elle, est au cœur même de ce film. L'amour d'une mère répugnante dévastée par la drogue, l'amour d'inconnus envers un enfant apeuré et esseulé, l'amour qu'on assume pas par peur d'être jugé et harcelé... Sans en faire des caisses, et sans tomber non plus dans la romance gay, Moonlight nous rappelle la carapace qui est propre à chacun d'entre nous, entre l'image qu'on souhaite donner et ce que l'on est vraiment. Avec nuances, sensibilité et ferveur, on se laisse bouleverser par cette histoire qui va au-delà de la façade physique, et révèle la réelle nature d'un être en apparence virile et plein de confiance. Ceci étant dit, les trois acteurs qui campent le même personnage de Chiron, à la fois différents mais similaires dans leur approche, sont tous plus exceptionnel les uns des autres et construisent ainsi un Chiron authentique et bouleversant. Le tout jeune Alex R. Hibbert, l'adolescent Ashton Sanders et l'adulte Trevante Rhodes interprètent avec une grande sensibilité ce personnage qui est de l'or à l'état pur et un véritable miroir sur nos personnalités complexes. La scène finale, d'une simplicité étonnante, est puissante et superbe et m'a mis la larme à l’œil. L'interprétation de Naomie Harris en mère toxico, Mahershala Ali en figure paternelle protectrice et bienveillante et Janelle Monae dans le rôle de sa compagne viennent sublimer ce film par une justesse et une sincérité sans pareilles. Il est nécessaire de voir ce film qui révèle avec efficacité, poésie et intelligence l'un des méandres de la complexité de l'être humain, entre ses contradictions, ses relations et son amour.