Pour son premier film, Barry Jenkins tape fort avec Moonlight : un drame en trois parties, comme le montre l’affiche, qui nous fait suivre la vie de Chiron de son enfance difficile à son éclosion identitaire. Chaque partie est une étape importante de la vie du personnage principal qui va le marquer, le changer et surtout le construire.
Tout commence quand il est enfant, harcelé par ses camarades à l’école ou dans le quartier de Miami dans lequel il vit. Puis Chiron devient adolescent, toujours harcelé, il va vivre comme la majorité des ados la période où il découvre et apprivoise ses sentiments et sa sexualité. Après être passé par toute sorte de surnoms : « Little », « Black » (titres des premières et deuxièmes parties du film), on découvre l’homme et l’adulte qu’il est devenu. Plus fort d’apparence, il est passé de l’autre côté de la barrière et ne se laisse plus marcher sur les pieds mais n’a pas pour autant perdu toute sa sensibilité et oublié le seul homme qui l’a touché et qu’il a aimé.
Le réalisateur le dit, il y a quelques éléments de sa vie dans ce film mais il a surtout adapté une pièce de théâtre « In moonlight, black boys look blue ». Titre qui donnera d’ailleurs lieu à un des plus beaux dialogues du film quand Juan, le dealer qui va éduquer Chiron comme son propre fils, interprété brillamment par Mahershala Ali, se confie à lui. À en croire l’affiche, on se doute que visuellement, le film sera beau. Je trouve la composition de celle ci assez incroyable, les couleurs ne sont pas sans rappeller le drapeau de la fierté bisexuelle et les trois acteurs différents qui ne forment qu’un personnage rendent la chose assez unique et bien faite.
Tout au long du film, Jenkins met littéralement en valeur les acteurs avec une lumière perçante, aussi bien dans la nuit que dans le jour, bien que j’affectionne particulièrement les scènes de nuit. Les choix du réalisateur rendent réellement compte de l’époque (années 80), largement aidés par les décors, et donnent un ton vraiment particulier en créant une ambiance et une atmosphère calme et apaisante malgré la sauvagerie de ces quartiers pauvres. Si tout semble si doux, c’est parce qu’on suit un personnage qui est constamment dans l’introspection, malgré quelques scènes de violence. Le film oblige alors le spectateur à faire preuve de beaucoup d’empathie par sa sobriété et sa pudeur. Ce sont les détails qui font le tout : une main qui agrippe le sable lors d’une scène d’amour, le personnage qui se rafraîchit le visage avec de l’eau et se regarde dans le miroir, face caméra, à plusieurs reprises. Ce sont ces moments très réussis aussi bien au niveau du style que de l’esthétique qui magnifient le film et le rendent intense. Pas forcément adepte des plans tournés caméra à l’épaule et du mouvement permanent provoqué par cette technique, c’est un des rares films où l’instabilité ne m’a pas dérangé puisqu’elle sert le film. De morceaux de violon à compositions au piano, Nicholas Britell réalise lui aussi un travail extraordinaire sur la musique, qui accompagne parfaitement la beauté des images et accentue la grâce.
Ce premier long-métrage de Jenkins se compose donc de trois parties distinctes au niveau du temps et pour cela, le réalisateur choisit trois interprètes différents de Chiron qui vont faire preuve, chacun à leur tour d’un grand talent. De Alex R. Hibbert (Little) à Trevante Rhodes, en passant par Ashton Sanders (Black), leur jeu est parfait et fort. Différemment et à la fois d’une manière assez similaire puisqu’on pourrait presque croire que c’est réellement la même personne; ils utilisent les mêmes émotions, les mêmes expressions faciales, les mêmes silences, leurs regards sont identiques et en même temps, la flamme qui les habite un peu différente. Mais ils parviennent à nous faire ressentir les mêmes émotions à chaque période du film et de la vie de Chiron. Tout repose sur la suggestion, les non-dits, les silences, les mains qui s’effleurent et les regards qui se parlent. C’est souvent dans cela que l’on reconnaît les bons acteurs, ici, ils sont bien présents. La poésie du film est opposée au milieu de la drogue dans lequel la virilité est primordiale si l’on veut se faire respecter. Il est bizarre et mal vu d’aimer les hommes quand on en est un dans ces quartiers où il faut se battre pour garder sa place, pour montrer qu’ils en ont avec leur grosses mercos et leurs dents en or. Mais ne devient pas cador qui veut, Chiron qui passe pourtant de celui que l’on frappe à celui qui tient les rennes du réseau, n’a pas fait le deuil de celui qu’il a été et de celui qu’il a aimé. Adulte, on le voit viril mais sa fragilité et sa sensibilité sont toujours là, quelque part.
Si l’amour est présenté de manière subtile, on remarque d’ailleurs que la scène de sexe est d’une certaine manière cachée et que bon nombre de plans filment les personnages marchant de dos. Le réalisateur dissimule cet amour au même titre que Chiron essaie de se brimer quand il est adolescent. Ce sont ces barrières, ce contexte social et cette tendresse puissante qui nous saisissent et bousculent nos sentiments. Moonlight est finalement plein de sens derrière une légèreté apparente et c’est de ce cinéma dont nous avons besoin aujourd’hui.
Le cinéma américain dispose de beaucoup d’autres richesses que celles des Blockbusters, Todd Haynes me l’avait prouvé avec Carol l’an dernier, cette année c’est avec Moonlight que Barry Jenkins redonne des points à ce cinéma, dans mon coeur. Des points, je crois qu’il en a gagné dans de nombreux festivals depuis quelques temps et je ne peux souhaiter à ce film que toute la réussite qu’il mérite en se présentant comme le principal rival de La La Land aux prochains Oscars.