"Moonlight", adapté d'une pièce de théâtre de Tarell Alvin McCraney intitulée "In Moonlight Black Boys Look Blue", nous raconte la vie d'un jeune Afro-Américain de Liberty City, un quartier pauvre de Miami, à travers trois périodes essentielles de son parcours personnel. L'enfant surnommé Little devient l'adolescent Chiron, avant de se métamorphoser finalement en l'adulte qui choisit de se faire appeler Black. Tout au long du film, il subit la dictature de l'apparence et des faux-semblants; il souffre non seulement de la pauvreté du milieu social dans lequel il grandit, mais aussi de la terrible pression qui l'empêche d'être véritablement lui-même, de la nécessité absolue de cacher son âme.


La première époque de "Moonlight" nous présente donc Little, un petit garçon de 9 ans qui évolue avec peine dans un environnement hostile. Sa mère Paula, paumée et toxicomane (magnifiquement interprétée par Naomie Harris), s'occupe à peine de lui. Ses camarades de classe, ne comprenant pas la douceur de son caractère, le prennent pour un faible et lui en font baver. Son quartier est une jungle urbaine où la drogue et la violence règnent en maîtres. Little fait profil bas du mieux qu'il peut, avec pour seul ami le petit Kevin qui lui donne des tuyaux pour ne pas passer pour "une tapette". Alors qu'il tente d'échapper à de petits idiots qui veulent lui faire sa fête, il rencontre Juan (Mahershala Ali, dans un rôle splendide qui lui donne l'occasion d'exprimer pleinement sa palette d'acteur), un caïd du trafic de drogue local qui, attendri par le jeune garçon silencieux à la surprenante maturité, le prend sous son aile et remplace un père qui n'a jamais fait partie de son paysage.
Dans son second acte, le film nous montre l'adolescent qui ne veut plus être surnommé Little mais revendique son vrai nom, Chiron. Toujours aussi discret, maigre et peu sûr de lui, il rase les murs et ne parle que lorsque des mots s'imposent. Pris en étau entre un groupe de brutes qui prend un malin plaisir à le harceler à l'école, et sa mère dont l'état s'est encore aggravé et qui n'hésite pas à le traiter comme un moins que rien et à le faire culpabiliser à la moindre occasion, son seul refuge est Teresa, l'ancienne compagne de Juan, qui lui sert de mère de substitution. Et Kevin, qui tente de rester son ami malgré la pression sociale qui perdure au lycée, ostracisant de plus en plus Chiron car il ne rentre pas dans le moule du jeune "black" hétéro musclé qui sort avec des filles. Il est plus que jamais vu comme "une fiotte" incapable de se défendre.
Dans la troisième et dernière partie de "Moonlight", Chiron est devenu Black, un dealer body-buildé impressionnant qui impose le respect par une présence physique intimidante et l'attirail qui va avec : chaînes en or, grosses baguouses, jusqu'aux dents en or, véritable caricature à la 50 Cent. Mais sous cette armure, cette carapace de virilité exacerbée, existe encore ce jeune homme sensible qui ne se révèle qu'aux rares personnes auxquelles il peut faire confiance. Son nom est le surnom que lui avait donné son pote Kevin avant que la vie ne les sépare. Ce même Kevin (André Holland, remarquable dans cette troisième partie, tout en nuances) qui reprend contact avec lui après toutes ces années, et qui va le pousser à se dévoiler, à enfin assumer et admettre qui il est vraiment.


Plus qu'un film sur la condition des Noirs aux Etats Unis, sur les ravages de la drogue et de la pauvreté, ou sur l'homosexualité, Moonlight nous raconte combien il est difficile mais primordial de vivre en accord avec soi-même. Little/Chiron/Black grandit dans une société où la différence est mal vue, considérée comme une tare, un signe de faiblesse qui permet aux "forts" d'écraser ceux qui ont le malheur de ne pas rentrer dans le moule. Il ne sait d'ailleurs pas bien lui-même au départ qui il est ni ce qu'il veut à part être laissé en paix et partager un peu d'amour avec les siens. Il essaie comme il peut de se conformer à ce que son milieu ou sa mère attendent de lui, mais comme personne ne s'intéresse à ce qu'il est vraiment, il en est incapable et finit toujours par être rejeté. Seuls Juan, Kevin, et Teresa n'attendent rien de lui à part qu'il soit lui-même. C'est d'ailleurs le dealer Juan qui lui explique, lors d'une séquence magnifiquement poétique, ce qu'il n'est pas encore prêt à comprendre : que personne à part lui-même ne peut lui dire qui il est, que c'est à lui et lui seul de choisir et de se définir en tant qu'individu, que c'est cela devenir adulte.
Il lui faudra de nombreuses années et un parcours semé d'embûches avant de vraiment comprendre le sens de ces paroles de sagesse.


Barry Jenkins, le réalisateur de Moonlight, développe avec beaucoup de sensibilité et de pudeur cette leçon de vie tout au long des trois époques du film. Le choix des trois acteurs, Alex R. Hibbert/Little, Ashton Sanders/Chiron, et Trevante Rhodes/Black, pour incarner son personnage principal dans ces époques, est particulièrement judicieux, et s'ils n'ont pas une grande ressemblance physique les uns avec les autres, ils ont en revanche tous une présence particulière, une façon de se mouvoir et surtout une certaine qualité de regard qui définissent le même être qu'ils incarnent sous ses différentes formes. Ils ont tous cette sensibilité à fleur de peau qui ne se dévoile vraiment que dans les rares moments où ils se sentent en sécurité.


Notons aussi un remarquable travail du directeur photo James Laxton avec des éclairages et une colorimétrie splendides, et une musique de Nicholas Britell utilisée avec une grande intelligence, créant des ambiances très particulières, extrêmement immersives, percutantes et émouvantes.


Moonlight, malgré ses très nombreuses qualités, ne parlera pas à tout le monde. Ses ellipses, son montage particulier, et ses scènes qui prennent le temps de se développer, d'installer leurs ambiances, rebuteront les plus impatients ou frustreront ceux qui voudraient en savoir plus sur les détails de la métamorphose de Chiron. Mais ce sont aussi tous ces éléments, leur part de mystère et de poésie, la pudeur et la sensibilité de sa réalisation, qui toucheront au coeur ceux qui, comme moi, y verront une magnifique ode à la liberté et à l'accomplissement de soi!

CharlesLasry
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le 20 févr. 2017

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