Ouverture du festival de Cannes et casting de rêve, le dernier film de M. Anderson donne envie, c'est indéniable. Et si les thèmes chers au réalisateur sont toujours aussi présents et décortiqués, il arrive à renouveler une réalisation toujours plus épatante tout en réussissant à humaniser au maximum ce qui reste l'une des plus touchantes histoires d'amour de l'année. Tout en retenue donc, Wes Anderson livre ce qui pourrait être considéré comme son film le plus abouti, dernier en date d'une filmographie qui n'a cessé de gagner en qualité, autodidacte prodige, on est face à un film qui fera date dans son œuvre.
Un résumé serait inutile, en ce sens qu'il faut découvrir pas à pas l'histoire de ces deux enfants, aux prises d'un monde qui ne les comprend pas (et c'est réciproque), enfermés dans une bulle de bonheur à la quête d'aventure. L'aventure que les personnages du réalisateur n'ont de cesse de chercher, l'exploration, l'évasion, l'identité personnelle pour oublier des relations familiales tendues et un rejet de la société évidents, vient ici non pas ponctuer le film mais le construire. Il ne s'agit pas simplement de trouver un prétexte pour faire montre de dextérité dans les mouvements de caméra mais bel et bien de créer une fenêtre sur cette île et montrer le destin de ce jeune couple à travers une quête épique de liberté.
Comme toujours, la réalisation est impeccable et il est difficile de trouver à y redire. Une première scène très andersonienne (excusez le néologisme), en découpe d'une maison dont on pourrait croire qu'elle sera le théâtre de toutes les péripéties de l'histoire ne sert finalement qu'à établir un état des lieux de la situation. La musique, toujours minutieusement construite, sert au mieux le scénario et rend le résultat des plus personnels : c'est simple, du classique et de la variété française pour un résultat baroque et ô combien fusionnel. Tout comme l'aventure de nos héros et la manière dont l'ensemble est mené finalement, tout est en phase, rien ne vient obstruer le chemin d'un film qui mériterait à être encore plus connu. D'ailleurs, pour ceux qui seraient tentés de partir avant la fin du générique, c'est une grave erreur, mais laissons la surprise aux spectateurs.
On aime ou on n'aime pas, le résultat peut paraître chirurgical mais il faut le reconnaître, l'émotion est bien là : on vit l'aventure comme les deux personnages principaux, on la vit à tel point qu'à la sortie du cinéma, le monde parait bien fade en comparaison. Point d'orgue du film, la scène de la plage bien entendu, qui restera dans les mémoires grâce à l'une des plus belles scènes de baiser du cinéma ces dernières années. On souligne l'essentiel sans trop en faire et, la chose n'est pas coutume, le réalisateur prend le risque de virer au film catastrophe en s'en tirant avec brio. D'ailleurs, on peut saluer la performance d'acteurs des jeunes comédiens dont le parcours futur est à suivre avec le plus vif intérêt.
Clairement, on tombe amoureux de ces filtres jaunes, de ces paysages splendides, de cet univers tout entier qu'on avait même réussi à reconnaître dans ce qui est peut-être le moins personnel des films du réalisateur : Fantastic Mr Fox, on en redemande et on fait finalement une compilation parfaite de tout ce qu'il y a eu de meilleur dans le passé tout en surpassant l'original : l'aventure de La vie aquatique, l'histoire d'amour complexe de Rushmore, la débrouillardise des personnages de Fantastic Mr Fox, les relations familiales complexes du Darjeeling Limited ou de La famille Tenenbaum et on ajoute une mise en scène absolument parfaite. L'absurdité des situations renforce le climat du film et les thèmes abordés en apportant une dose de naïveté pour permettre au spectateur non pas de prendre la chose à la légère mais de souffler et de relativiser devant la vie de chaque personnage.
Qu'on soit un fan ou pas, qu'on apprécie ou pas le travail de maître, Moonrise Kingdom doit être vu afin de pénétrer l'univers d'un cinéaste de passion et se laisser emporter à voir un autre monde, un monde où tout peut arriver, où les situations loufoques paraissent normales, où le pardon est possible. La note maximum est amplement méritée.