Oeuvre méprisée d'un des réalisateurs les plus sous-estimés tant par le public que la profession, The Quick And The Dead, pastiche pulp décomplexé est un hommage appuyé à un pan entier de l'imaginaire collectif américain, fixé sur pellicule à grand renfort d'encre rouge.
Métrage de commande pour la locomotive Sharon Stone, dont le rôle de co-productrice ne trompe pas sur ses intentions premières, Raimi n'oublie pas pour autant de s'approprier ce curieux objet, l'habillant au passage de bon nombre de ses obsessions et passions reconnaissables entre mille.
Formidable contre-pied de l'éloge funèbre géniale d'un genre entier, prononcée en 92, peut-être un peu hâtivement par le déjà vieillissant Clint Eastwood, Mort ou vif, dont le titre français profite pour une fois d'une amusante polysémie, envisage la modernisation du western et sa réhabilitation par l'incorporation d'influences post-modernes avec un recours salutaire au fantasme.
Et puisque l'on parlait de Unforgiven en introduction, difficile de ne pas profiter de l'occasion pour aborder la question du casting, démarrant à cette occasion ce premier paragraphe par l'évocation de la prestation de Gene Hackman, dans les santiag éperonnées du tyrannique Herod, version ultra-violente et pervertie à l'extrême de son personnage de shérif chez l'ami Eastwood.
En opposition, Sharon Stone, alors au firmament après être passées entre les mains expertes du hollandais violent, brûle la pellicule. Tantôt décalque féminin burné de l'Homme sans nom, tantôt caractérisée par une sexualité éruptive aux pieds de laquelle tout Hollywood se jetait volontiers, elle campe ici un de ses rôles les plus emblématiques, à des lieues du personnage sociopathe qui l'avait véritablement révélée. C'est d'ailleurs grâce à son implication dans la production que l'on découvrait à l'époque un jeune néo-zélandais aussi charismatique que charpenté, Russel Crowe et au passage une couleur supplémentaire sur le spectre des jeux d'un Di Caprio à peine post-pubère, à quelques mois du drame Basketball Diaries. Je ne pourrais pas parler de tout le monde, c'est pourquoi j'interromprais un inventaire potentiellement interminable et soporifique sur la présence remarquable de Lance Henriksen, bouffon mythomane haut en couleur, dont la présence, malheureusement écourtée d'une trop rapide volée de plomb, me permet d'opérer une habile transition vers un sujet fondamental : le travail plastique et l'incorporation de tout un pan de l'imagerie cartoon et pulp dans un genre ultra-codifié.
Car quand Sam Raimi, cinéphile averti s'il était encore nécessaire de le rappeler, convoque à l'occasion bon nombre des mastodontes du western, des références subtiles chez Ford aux inspirations beaucoup plus évidentes côté jardins de l'Europe, c'est pour mieux orchestrer une collision frontale avec ce qui constitue son univers visuel et les plus évidentes caractéristiques stylistiques de son cinéma.
Confinant à l'épure un genre extrêmement codifié, le réalisateur emprunte à tour de bras principalement chez Leone (A Fistfull of Dollars ou Yojimbo pour les puristes et Once Upon a Time In The West) une série de tropes indissociables du western spaghetti, canonisant les immanquables duels sous un soleil de plomb, ici devenus véritables outils scénaristiques, aussi absurdes que tragiques, formant un terreau incroyablement fertile pour une réalisation baroque jusqu'au bout des ongles. Du Sam Raimi que nous connaissions avec la saga Evil Dead, nous retrouvons ici un profond amour du gag burlesque, dans la pure filiation de Chuck Jones et des Stooges, de façon beaucoup plus subtile que ce dont nous avait habitué le réalisateur dans les mésaventures de Ash Williams. La réalisation, fortement expérimentale, partage nombre d'atomes crochus avec le cinéma de certains de ses contemporains Hongkongais, Tsui Hark en tête. Qu'il s'agisse d'un positionnement de caméra impossible, d'un travelling audacieux ou d'une alternance furieuse de plans débullés de plus en plus resserrés sur les regards crispés des jouteurs à vous en faire péter l'aorte, la patte Raimi est identifiable entre mille, enrichie sans vergogne par les trouvailles visuelles les plus audacieuse du neuvième art, au service de sa réalisation foutraque et résolument moderne.
Magnifiquement servi par la photographie de Dante Spinotti, le film, largement dominé par une palette de couleurs ocres, rend hommage à toutes ces bourgades poussiéreuses de l'ouest sauvage, plombée par un soleil impitoyable. La grande de rue de Redemption (subtilité, je crie ton nom), aussi poussiéreuse que recouverte de crottins, devient le point névralgique de l'histoire, et les planches d'une véritable tragédie grecque que ne sauraient altérer les divers coups d'éclats plastiques du réalisateur.
L'apparente simplicité scénaristique d'un tournoi qui n'existerait que pour tromper la morosité aiguë d'un despote devient alors la cristallisation des aspirations de l'ensemble d'une galerie de personnages truculents qu'on croirait tout droit sortis d'un pulp. Leurs motivations, aussi diverses que troubles, constituent autant de ramifications pour une intrigue qui comporte en définitive plus de tiroirs qu'une armoire normande. Qu'il s'agisse de ressentir à nouveau le frisson du danger, la liberté, embrasser la gloire, la fortune, assouvir ses pulsions de vengeance ou tout simplement tuer le père comme solution unique de la résolution d'un complexe Œdipien représenté sous trois formes bien différentes, la grande rue de Redemption sera le théâtre de nombreux espoirs sacrifiés, une véritable antichambre de la mort, dont l'horloge, arbitre impartiale, devient un personnage essentiel.
Alors peut-être que les frasques stylistiques d'un réalisateur aussi talentueux se sont heurtées à une critique trop conservatrice pour apprécier un projet aussi avant-gardiste, surtout si l'on considère la réception unanime d'un Django Unchained dix-huit ans plus tard.
Peut-être qu'il a été décrété un peu hâtivement, à l'image du Fury Road de Miller, que le film n'avait rien à raconter.
En tout cas, ce dont je suis certain en revanche, c'est que The Quick and The Dead mérite largement un visionnage ou un re-visionnage plus de vingt trois ans après sa sortie, tant il m'apparaît évident que le film ne mérite absolument pas le mépris dont il est victime.