En 1992, Clint Eastwood signait avec IMPITOYABLE le testament du western classique. Trois ans plus tard, Sam Raimi, lui, se chargeait d’y apporter un regard neuf, explorant les codes d’un genre rongé jusqu’à l’os.
Au milieu des années 90, Sharon Stone est au faîte de sa gloire. Alors qu’on lui propose le rôle d’Ellen dans MORT OU VIF, on lui offre également la possibilité d’en être la co-productrice. Pour réaliser ce western au scénario extrêmement référencé, elle soumet à la production le nom de Sam Raimi dont elle aime la patte si particulière et parvient à l’imposer. Le cinéaste, d’EVIL DEAD à DARKMAN, ne cesse de marquer les esprits avec sa caméra énergique et ses effets de style euphorisants. Mais comment un réalisateur de la trempe de Raimi peut-il réaliser un western dont le classicisme semble la marque de fabrique ? En dynamitant toute convention bien sûr ! Tout se voit retourné ou tordu par Stone et Raimi faisant de MORT OU VIF un long-métrage iconoclaste et délicieusement baroque. Là où un bon nombre aurait succombé aux sirènes de la parodie, ils démontrent plutôt un amour du genre. Ils le pastichent certes, mais c’est pour mieux en subvertir l’image que nous en avons.
Déjà, MORT OU VIF modernise par son personnage principal le western - genre profondément masculin s’il en est - où la femme se voit régulièrement reléguée au second plan dans des rôles sans véritable ampleur. Malgré quelques rares percées auparavant, Ellen semble être la première à combler ce vide. Stone campe donc une femme au passé nébuleux, au caractère bien trempé et sûre d’elle, mais faillible. La mise en scène de Raimi l’illustre dans des scènes où Stone paraît davantage masculine que tous ces messieurs pathétiques auxquels elle fait face. Ellen n’en reste pas moins féminine si bien qu'elle navigue dans une zone grisée, ambigu. Tout ça en fait un personnage fascinant et crédible loin des clichés d’un genre souvent dirigé par une seule figure masculine, dominante et virile. Cette dernière est d’ailleurs détournée par les autres prétendants au titre de ce concours de duels tous ridiculisés et brocardés en arrière-plan. Encore plus fort, Herod, véritable saleté tenant dans sa paume la ville de Redemption, incarne toute une imagerie machiste et néfaste que charrie le western tout en perpétuant une longue lignée d'antagonistes liée à ce genre. MORT OU VIF détourne ainsi les codes pour les réactualiser sans jamais s’en moquer ni le renier.
Raimi pousse cette idée jusque dans sa mise en scène. Bien qu’il se ménage, il ne met pas de côté son style si particulier et rivalise d’ingéniosité pour rythmer les duels récurrents. Il en profite surtout pour questionner l’héritage d’une société fétichiste des armes à feu et adepte de la violence. A ce titre, il faut voir ces deux passionnants seconds rôles interprétés par un Russel Crowe et un jeune Leonardo DiCaprio dégotés là encore par une Stone au nez définitivement creux. L’un est un prêtre au passé criminel, contraint de retourner à une violence qu’il fuit ; l’autre, un enfant écrasé par une paternité seulement reconnu par lui. Ces deux personnages évoquent l’impasse dans laquelle se trouve une société aux fondations si violentes. Ils devront chacun faire face aux conséquences d’un monde sans pitié et mourir, littéralement ou non, pour faire la paix avec eux-mêmes. Il en va de même pour Ellen, contrainte de surmonter le mâle absolue et, ironiquement, de cocher toutes les cases d’un genre qui ne lui était initialement pas destiné pour enfin être elle-même.
Avec rythme et ludisme, Stone et Raimi déjouent les attentes dans un long-métrage joyeusement fou. Surtout, MORT OU VIF dépoussière le western et lui offre de nouvelles pistes de réflexion.