Le plaisir peut être une geôle, et le fantasme une cellule carcérale, et un triangle, même amoureux, reste une figure géométrique qui enferme dans une ambiguÏté porteuse de pulsions pas forcément recommandables, chauffées à blanc, ici, par cet hôtel de l’amour (en portugais, "motel" ne désigne pas une halte pour automobilistes, mais le refuge pour les rapports intimes :le "love hotel" japonais, le "Stundenhotel" allemand mais pas l’hôtel de passe qui ne se réfère qu’à la prostitution : « Les sex-motels sont des lieux assez répandus au Brésil, les chambres sont louées par heure ou par demi-journée. Tout est fait pour garder l’anonymat et l’endroit a toujours un accès sécurisé pour les clients et un côté opposé pour le travail des employés. Nous avons souvent tourné dans la partie employés, un long couloir avec accès aux 14 chambres où la lumière est une "lumière de travail". À l’opposé, la lumière dans les chambres qui accueillent les clients est excessivement colorée. On a donc recréé une lumière "clients" et une lumière "employés", dans un motel qui a été fermé pour les besoins du tournage » (Hélène Louvart, AFC, revient sur le tournage de "Motel Destino", de Karim Aïnouz, AFC, Brigitte Barbier 23 mai 2024), un hôtel qui ressemble à une prison : enfermement à clé des occupants dans leurs chambre, télésurveillance, passe-plats dans les portes qui permettent aussi le voyeurisme, murs élevés, accès contrôlé, etc.
Le prétexte est le gangstérisme du nord-est brésilien (le film a été tourné à Beberibe dans l’état du Ceará), où prolifèrent des armes qui ne se taisent pas toujours, contraignant Heraldo (Iago Xavier), à trouver abri dans ce temple des jeux charnels, et s’il fuit la violence, il la retrouve aussi à l’intérieur de cet établissement tenu par un couple, lui à l’aube de la cinquantaine avec une moustache finement taillée (Fábio Assunção), elle, plutôt la trentaine prolétaire (Nataly Rocha), couple dans la routine qui lui recherche le danger, elle dans l’infidélité, lui dans ce refoulé qui le poursuit.
Il n’y a pas que les ambiances colorées installées pour permettre la concupiscence, il y a aussi les sons, avec un procédé proche de La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, où Dayana et Elias font le ménage et papotent au milieu des cris de jouissance, qui ne cessent de se faire entendre, ce qui crée une ambiance très troublante avec cet hors-champs décontenançant, qui va contribuer à les amener sur le scénario du Facteur sonne toujours deux fois, quand le triangle veut supprimer un angle et se confondre dans une ligne, avec une petite touche amoldovresque. On peut aussi songer à La Cérémonie de Chabrol quand Karim Aïnouz déclare dans sa note d’intention : « Motel Destino est le portrait à la fois intime et universel d'une jeunesse privée d'avenir et d'espoir par une élite dominatrice et despotique, contre laquelle la violence est la seule arme pour affirmer son désir et sa vitalité. »
À l’opposé d’être pris au piège de leurs instincts, dans la prison de leurs pulsions, dans des chambres où se déchaînent des envies hétérodoxes, il y a le thème de la nature et de la nudité dans un environnement semi-rural et proche de la mer : le climat permet une semi-nudité permanente, et DIVUGÂCHIS c’est nus qu’ils seront traqués, comme des bêtes et des innocents, déplaçant la nudité de l’érotisme à la vulnérabilité. La sexualité des animaux est aussi rappelée, pour rappeler que dans l’accouplement de deux ânes, il peut y avoir de la violence (et dans le regard d’une chèvre sur deux humains forniquant, il peut y avoir cet étonnement sur l’étrangeté des autres, ce qui les habite et ne se voie pas.
Bref, un bon film qui n’a pas eu peur de passer par l’argentique (16 et 8 mm, ce qui occasionna quelque gêne, puisqu’il n’y avait pas de labo pour développer au Brésil comme en Argentine) et qui a le mérite d’avoir trouvé ce lieu qui parle et symbolise Internet, où l’intimité doit s’exercer sous la surveillance. L’histoire est menée par 3 acteurs fervents, avec un Fábio Assunção un peu Village People, un Iago Xavier fougueux, et une Nataly Rocha qui émerge d’une carrière assez modeste avec ses dents du bonheur et la lourde tache de se dévêtir à 37 ans devant la caméra.