Mother! ou l’écolo-misanthropie facile et lourdingue

Attention spoilers.


Je ne parlerai ici que du versant métaphysique et religieux de Mother, d’abord parce qu’il demeure quand même le pilier du film, son aspect le plus structurant et incontournable (on prétend nous rejouer l’Ancien puis le Nouveau Testament, la première famille envahissante n’est là que pour incarner Adam, Eve, Caïn et Abel, le poète en fait des caisses, notamment avec son « Je suis celui qui est » ; plus tout le reste : cf les diverses analyses du film). Surtout, c’est cet aspect métaphysique qui m’a le plus énervé.



Beaucoup d’emphase pour un postulat simpliste



La démarche de Mother est originale et mérite d’être saluée ; elle aurait pu rendre le film très profond, mais ce n’est malheureusement pas le cas. On aura beau gloser sur son symbolisme, d’abord subtil et agréable, puis franchement grossier et répétitif, il n’empêche que l’idée de base est tellement unidimensionnelle, simpliste et bancale (la Nature c’est beau, le reste c’est pas gentil) que tout ce qui en découle fait froncer le sourcil. Surtout, elle est tellement conforme à l’air du temps que je ne vois pas l’intérêt de s’y ébrouer sans fin.


Les détails de l’allégorie peuvent être discutés : Bardem est Dieu et les envahisseurs l’Humanité, cela paraît sûr, mais le statut de Lawrence et de la Maison sont moins certains. J’aurais tendance à penser que la Maison représente la Terre, le matériau de base, d’abord stérile (après l’incendie) et dont Dieu laisse la Nature (Lawrence) s’occuper pour lui donner toute sa splendeur. En outre, il me paraîtrait plus logique que les hommes envahissent la Terre (Maison) en expropriant la Nature (Lawrence) plutôt que l’inverse, mais à voir. De l’autre côté, on pourrait aussi voir Lawrence comme la Terre Mère (cette fameuse Mother) dont la Nature est l’œuvre.


Quoi qu’il en soit, Aronofsky a l’air d’employer les deux concepts de manière assez indifférenciée :
« "Le titre 'Mother !' ne fait pas référence aux mères en général, mais à LA mère, celle qui est sous nos pieds, la terre mère, la mère nourricière", a détaillé Darren avant de montrer Jennifer Lawrence en souriant et de s’exclamer : "N’est-ce pas la plus belle mère nature, qui soit ?" »
http://www.premiere.fr/Cinema/Darren-Aronofsky-donne-la-cle-pour-comprendre-Mother


Ainsi, sans trop gloser, admettons que Jennifer Lawrence et la Maison soient au cœur de la symbolique Nature-Terre. On l’aura compris, le film entend dénoncer le changement climatique et le traitement infligé à la planète/nature par les hommes : https://www.hollywoodreporter.com/news/mother-jennifer-lawrence-darren-aronofsky-say-film-is-an-allegory-mother-earth-1035155).


Bref, Mother nous présente un Dieu égocentré et hypocrite, des hommes égoïstes et malfaisants, enfin une Nature pure, harmonieuse et toute gentille. C’est un peu simplet.


En effet, ce manichéisme écolo-misanthropique est très léger, car il néglige le versant cruel et impitoyable de la « Mère » tant valorisée. On le sait : dans une forêt qui nous paraît si paisible, des milliers d’êtres vivants se massacrent et se dévorent à chaque instant : les arbres s’étouffent pour se faire une place au soleil, les insectes se génocident à grande échelle, les félins jouent sadiquement avec leurs proies avant de les démembrer, etc.


La loi de la Nature, cette impitoyable marâtre, c’est la lutte pour la survie ; son œuvre n’est pas le fruit de l’harmonie (comme une jolie maison où rien ne dépasse), mais plutôt d’un chaos incessant, d’un rapport de force où tous ceux qui ne peuvent se défendre sont écrasés sans pitié.


Ainsi, la misanthropie de Mother est délicieusement ironique, car le regard idéalisé que porte le film sur « la Nature » ne pouvait germer que dans l’esprit d’un homme protégé de sa cruauté par la civilisation. La Nature vantée par Aronofsky, c’est la Nature domestiquée de Central Park et des pays développés ; celle où nous sommes déjà rois, où l’on ne fait que passer en villégiature, et qui nous paraît si harmonieuse justement parce que tout y a été modelé à notre goût par nos ancêtres (traçage des routes et chemins de randonnée, aménagement des sous-bois, élimination des grands prédateurs, etc.).


D’ailleurs et évidemment, Aronofsky ne peut conduire son œuvre de survalorisation de la Nature qu’en sautant à pieds joints dans l’anthropomorphisme le plus total. Jennifer Lawrence est la plus « humaine » au sens que nous donnons familièrement à ce mot, consciente d’elle-même, d’autrui, du monde, tandis que les hommes sont esclaves de leurs instincts primaires et ne font jamais preuve de sentiments élevés.


Il m’aurait paru plus intéressant et plus honnête, y compris sur le plan allégorique, de souligner l’inscription organique de l’humanité au sein de la Nature. On pourrait assez naturellement penser l’Homme comme le fruit de l’union entre Dieu et ladite Nature: un être animé d’une conscience particulière par son Père, mais qui reste soumis aux lois de sa Mère (les impératifs de la lutte pour la survie, qui sont une grosse partie du "problème humain").


Bref, c’est bien sûr une question philosophico-théologique ouverte qu’on n’est pas prêt de trancher, mais le choix d’Aronofsky de dépeindre les hommes comme radicalement étrangers à une Nature parfaite m’a paru malavisé, seulement là pour servir un propos excessivement caricatural.



Un mélange des genres bancal



Sans doute le relatif simplisme du message vient-il du fait qu’Aronofsky voulait également réaliser un bon thriller/film d’angoisse, donc il fallait une Jennifer Lawrence attachante et des antagonistes envahissants. Je trouve ça quand même dommage, car du coup le film tient sur deux pieds malades (l’allégorie et le thriller) qui agissent en opposition plutôt que de concert.


Dans un premier temps, la complaisance nombriliste d’Aronosfky pour son allégorie nuit considérablement à la tension dramatique de son film, affaiblissant le versant thriller/horreur. Je m’en suis notamment rendu compte car certains de mes co-spectateurs n’avaient jamais entendu parler du film et n’étaient pas avertis qu’il avait une portée métaphysique ; ils l’ont donc abordé vierges de toute attente et, naturellement, comme un thriller lambda (ce qu’il prétend être au début).


Conclusion : ils ont été rapidement sortis du film par une première partie qui fut pour eux mauvaise et capillotractée. En effet, Aronofsky y louvoie longuement pour mettre en place ses pions ; si l’on sait à peu près dans quelle direction va le long-métrage (grâce à la bande-annonce ou aux infos glanées ici et là, c’était mon cas et je n’en avais bien sûr aucun mérite), on peut plus facilement prendre son parti de ce passage fastidieux. Autrement, le premier segment du film paraît d’abord sans queue ni tête ni enjeu ; les personnages agissant de manière apparemment insensée et les indices étant trop minces pour pouvoir commencer à apprécier le tableau d’ensemble.


Si l’on n’a pas vu les images angoissantes de la bande-annonce, on aura vraiment du mal à être tenu en haleine dans un premier temps. D’ailleurs, le choix étrange de placer dès le début du film un plan très appuyé qui en spoile la fin (une femme en flammes) pourrait bien être un aveu d’impuissance du réalisateur, conscient que son récit ne pourra produire assez de tension par ses propres moyens. On cherche ainsi à susciter l’intérêt du spectateur de manière quelque peu facile et artificielle.


L’emphase symbolique contribue également à stériliser le personnage de Bardem, qu’elle phagocyte intégralement. La dimension « privée » du poète est en effet aux abonnés absents ; il est unidimensionnel et paraît étranger à son propre drame familial ; sa seule fonction substantielle est de lâcher des formules religieuses pour nous garder dans le « transcendant » (« Je suis celui qui
est », « Il faut leur pardonner »).


Voyons le problème de l’autre côté à présent, soit celui de l’allégorie métaphysique. Le problème est que la vocation de thriller/film d’horreur de Mother lui fait adopter un manichéisme trop simpliste (cf première partie) et l’amène en plus à sacrifier toute cohérence sémantique au bénéfice de l’image-choc. Il est en effet difficile de prendre cette fresque symbolique au sérieux car elle emprunte souvent des chemins complètement gratuits et WTF. Tout en étant la Nature, Jennifer Lawrence devient aussi, après s’être faite ramoner, un ersatz de la Vierge Marie (normalement une humaine ignorant le péché de chair) pour qu’on puisse avoir un plan gore de son enfant dévoré dans une parodie d’Eucharistie en version trash (et vidée de son sens).


Autre exemple de symbolisme purement démonstratif qui fait passer la forme avant le fond : le Déluge. Lors de la première soirée d’invasion de sa maison (correspondant à la première occupation de la Terre par les hommes) Jennifer Lawrence demande à deux malotrus de se lever de son évier, ils se moquent d’elle et remuent sur celui-ci : il finit par exploser et asperger la pièce ; Lawrence s’énerve, crie et fait fuir tous les invités. Aronofsky rappelle ici le Déluge qui mit un terme au règne de la première humanité, mais n’en présente que l’aspect le plus secondaire (le moyen du châtiment divin : l’eau) tandis que le fond de l’affaire, l’idée même de châtiment divin, passe complètement à la trappe ; ne reste plus qu’un banal accident, tandis que Javier Bardem (le pouvoir divin en question) ne comprend rien à ce qui se passe, comme à son habitude.


Alors certes, pas forcément besoin d’une logique de fer dans une œuvre d’art, mais quand on voit Aronosfky nous rejouer de manière ultra-littérale les grandes étapes de la Bible, nous planter des personnages aux fonctions bien précises et prétendre porter un message savamment articulé, on s’étonne de le voir ensuite partir dans tous les sens pour privilégier la forme et le frisson.


En somme, les deux versants du film ne s’appuient et ne se soutiennent pas, ils se vampirisent constamment l’un-l’autre pour privilégier leur propre logique : l’allégorie saborde la tension du thriller, tandis que celui-ci saborde tout message intéressant en orientant le long-métrage vers un manichéisme bas-de-plafond et de l’image-choc un peu gratuite, au mépris de la cohérence des symboles.



Bref…



Il y a visiblement pas mal de choses à tirer de ce film, sur l’acte de création artistique notamment, mais l’expérience ne m’a subjectivement pas plu, à cause d’une allégorie métaphysique à la fois ampoulée et caricaturale. A ce titre, notons que Mother représente visiblement un risque sanitaire majeur, puisqu’il semble être méchamment monté à la tête de Jennifer Lawrence, laquelle a totalement sombré dans le messianisme écologiste le plus obscurantiste et voit maintenant « Mère Nature » comme une force consciente qui nous punit pour l’élection de Trump (après tout allez savoir).
https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/films/news/hurricane-irma-harvey-donald-trump-jennifer-lawrence-mother-nature-storms-climate-change-florida-a7937691.html

SombreRascasse
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le 6 janv. 2019

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