Darren Aronofsky est un réalisateur qui ose ! Il ose choquer, ose la violence à la fois physique et psychologique, ose repenser à sa façon des thèmes risqués tels que la religion, ose créer des styles visuels particuliers, ose forcer les téléspectateurs à se creuser les méninges pour comprendre ses œuvres... Mother! est un peu une combinaison de tout ce que le cinéaste a osé durant sa carrière ! Ce film d'auteur ne plaira pas à tout le monde mais ne laissera personne indifférent !
Attention cette critique comporte de nombreux spoilers !
Une allégorie biblique intelligente pour critiquer les maux du monde
Bon je m'intéresse à tout mais je ne m'y connaît pas trop en textes religieux donc si je dis des bêtises il faut me le dire en commentaire ; mais en me basant sur le peu de choses que j'ai appris lors de mes analyses littéraires lorsque j'étais lycéen, je pense avoir compris l'allégorie ; car oui, Mother! est une allégorie biblique.
- Le poète est Dieu : le personnage incarné par Javier Bardem est un poète qui est littéralement déifié, ses écrits vont devenir une sorte de Bible. Le fait que le personnage ouvre la porte à tout le monde, n'hésite pas à partager ses biens et sa nourriture, pardonner l'impardonnable fait écho à la description de Dieu qui serait un être miséricordieux qui accueil tout le monde, accorde sa confiance et impose un partage juste. Les invités vont profiter de tout cela à travers leurs excès (pêchés) : alcoolisme, vols, bagarres, casse d'objets, non répartition du matériel... puis viols, meurtres ect... une combinaison de tout ce qui va pas dans le monde ! La seule chose de pure dans la maison c'est l'instinct maternel de la femme et son amour pour son marie.
- Adam et Eve, leur pêché originel (scène aussi présente dans Noé) : Ed Harris et Michelle Pfeiffer jouent un couple représentant Adam et Eve. Il cassent un diamant qui symbolise le fruit défendu et se retrouvent donc bannis du bureau du poète (Dieu) qui est fermé définitivement tels Adam et Eve bannis du jardin d'Eden. Remplacer la pomme par un diamant était un choix intelligent qui peut critiquer le fait que les gens sont superficiels et matérialistes car attirés par le bling bling et les belles choses qui valent chère.
- Caïn tue son frère Abel par jalousie (scène également présente dans Noé) : les enfants des deux visiteurs représentant Adam et Eve se battent pour une histoire d'héritage, l'un d'eux tue l'autre par jalousie comme Caïn qui dans la Bible assassine Abel. Le fait que l'objet de la jalousie soit un héritage critique que nous vivons dans une société où certains sont prêts au pire pour l'argent, que les gens sont envieux et ont une avidité malsaine pour la richesse.
- Le sacrifice de Jésus : comme l'enfant est le fils du poète dans le film, le bébé représente Jésus. Un bébé est un être pure, innocent, qui n'a jamais commis de fautes. Il est cependant tué, puis la scène de La Cène est reprise au sens littérale puisqu'il est dévoré. Il meurt donc dans d'atroces circonstances à cause de la foule qui représente les pêcheurs. Ceci fait écho à La Passion du Christ où Jésus porte les pêchés de tout le reste du monde et est crucifié. Bon pour cette sous-partie, je dois avouer qu'on me l'a un peu soufflé à l'oreille (sauf pour le parallèle avec La Cène), je ne m'étais pas aperçu que le réalisateur allait aussi loin de son allégorie pour dénoncer que c'est toujours les innocents qui payent pour ceux qui font le mal.
- La nature et l'amour de Marie pour Dieu : dans le film le cœur de la femme se noircit au fur et à mesure du film car on lui à tout pris, tout sauf une chose, il lui reste suffisamment d'amour pour ne pas hésiter à donner littéralement son cœur au poète (Dieu). Certains voient aussi dans le personnage de la femme la représentation de la nature, souillée par les pêcheurs qui détruisent tout ce que la nature créer d'elle même.
- Un éternel recommencement : après l'Apocalypse, c'est l'amour qui permet de tout rebâtir (le cœur de diamant donné volontairement) mais les hommes n'apprennent pas de leurs erreurs, à la fin il y a la souffrance et la violence, presque plus d'amour, tout se répètent de manière cyclique, c'est là la critique du réalisateur. C'est ainsi que le long-métrage se conclut par son commencement mais avec une autre femme qui subira le même sort que notre héroïne d'autres innocents vont souffrir, un nouvel Apocalypse se prépare.
D'autres éléments sont largement moins évidents et sont donc largement libres d'interprétation. On constate notamment que dans ce film, la caméra insiste sur des éléments particuliers : le médicament que boit la femme, la tâche de sang qui réapparaît, les murs de la maison qui semblent vivants, le cœur dans les toilettes, la chaudière ect... Pour l'élixir j'avais pensé à une référence à Requiem for a Dream, un médicament que le personnage principal s'administre lui-même et auquel il tombe accroc et qu'elle arrête de prendre au moment de sa grossesse. Pour la tâche de sang, je pense que le réalisateur insiste dessus car elle représente le meurtre qui dans la Bible constitue le premier assassinat de l'humanité, un pêché qui n'est pas effaçable. La chaudière est un élément nécessaire pour représenter l'Apocalypse. Il doit aussi avoir une métaphore sur le fait de tout donner en amour mais je n'ai pas tout compris. Comme pour The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, ces éléments libres d'interprétation sont à double tranchant : d'une part ça amène le spectateur à réfléchir, à se faire sa propre idée mais d'une autre part, l'absence d'explication peut souler certains qui se sentirons perdus et concluront que le réalisateur est prétentieux ou fainéant.
Mother! est certes intelligent mais en terme de récit le film est maladroit. Il parle de choses intéressantes mais de beaucoup de choses différentes : religion, famille, maternité, art, sexualité, amour intergénérationnel... Je ne dis pas que le réalisateur parle de trop de choses dans son film mais je constate que c'est assez mal écrit ; ça part en effet parfois dans tout les sens, le jonglage entre les thèmes laisse à désirer, on parle d'une chose puis d'une autre, puis on revient ou pas vers le premier sujet. De plus ces thème -outre les brillantes métaphores religieuses- manquent incontestablement de développement au sein du scénario (par exemple pour le couple, la différence d'âge est brièvement abordée à travers deux trois phrases mais sans plus). On notera aussi une absence de développement du personnage de Jennifer Lawrence mais au final ce n'est pas si grave, j'expliquerais pourquoi plus bas.
Niveau ambiance, c'est infernal, c'est du Darren tout craché ! Requiem for a Dream était déstabilisant de par son réalisme malsain, Black Swan était déstabilisant de par sa profondeur psychologique, Mother! est déstabilisant de par sa violence : accouchement musclé, bébé tué puis démembré et mangé, femme insultée, lynchée et éventrée, personnes fusillées au visage... Cette violence est justifiée par la volonté de critiquer les maux de notre société. Elle est corroborée par une atmosphère bizarre, dégueulasse et oppressante (ceci est renforcé par l'effet huis clos, l'impression d'être prisonnier de la maison), une ambiance qui a la fin devient complètement folle, hystérique même ; le film passe de thriller psychologique à film d'horreur fous. Même si c'est justifié, on peut néanmoins se demander si Darren Aronofsky n'exagère pas un peu trop avec la violence et la folie, un peu comme s'il ne s'était pas assez lâché avec Noé, son précédent film et que du coup il se lâche ici. Quoiqu'il en soit c'est en partie grâce à tout ça que Mother! ne laisse pas indemne donc je dirais que c'est plutôt un élément positif. De plus, notre société est au moins aussi violente que ça (des meurtres pour des histoires d'héritage, il y en a tout le temps par exemple).
Pour les acteurs, on a d'abord une Jennifer Lawrence comme on ne l'a jamais vu ! De Winter's Bones à la saga Hunger Games, en passant par ses collaborations avec David O. Russell (Hapiness Therapy, American Bluff, Joy), on constate que Jennifer Lawrence a l'habitude des rôles de femmes au fort tempérament, qui ne se laissent pas marcher sur les pieds ! Mother! est l'occasion pour l'actrice de démontrer qu'elle est capable de jouer quelque chose de totalement différent : son personnage innomé est en effet délicat, inquiet, sensible, discret, trop serviable, soumis aux décisions de son marie... Bref, Jennifer Lawrence incarne avec une grande crédibilité ce tout nouveau rôle ! Lorsque l'ambiance commence à devenir hystérique et que son protagoniste est apeuré, triste, en souffrance physique ou encore fou de rage -émotions qui quant à elles ne sont pas inconnues au travail de l'actrice-, elle est également superbe ! Son personnage n'est pas développé mais elle a réussi à franchir ce gros obstacle pour le rendre étrangement très attachant ! Pour moi c'est l'une de ses prestations les plus intéressantes ! Le long-métrage a l'originalité d'être à 100% centré sur Jennifer Lawrence qui apparaît dans toutes les scènes et dans presque tout les plans (quand elle n'apparaît pas dans un plan, on voit la scène subjectivement, à travers son protagoniste) donc celle-ci a clairement le rôle principal mais Javier Bardem ne laisse pas indifférent non plus, il nous offre ici une prestation très déstabilisante à travers un personnage avec une personnalité dualiste, à la fois bienveillante et inquiétante, gentille et autoritaire, altruiste et folle. Ils ont des rôles secondaires mais c'est un plaisir de voir les acteurs multi-nominés aux Oscars Ed Harris et Michelle Pfeiffer former un duo aussi taré dans le film. Par contre je n'ai pas compris l'intérêt du caméo de Kristen Wiig même si je n'ai rien contre cette actrice.
Là où le film m'a déçu, c'est sur sa bande originale. Il s'agit de la première non collaboration entre Darren Aronofsky et le talentueux Clint Mansell, ça se ressent ! J'avais aimé la composition de Jóhann Jóhannsson pour Premier Contact mais là son travail est assez discret. Mais cette bande originale pas aussi présente qu'on pouvait l'espérer est remplacée par des effets sonores très importants puisqu'ils participent à l'instauration de l'atmosphère oppressante, il s'agit par exemple des craquements du parquet en bois, l'acouphène que l'on entend lorsque le personnage principal se sent mal et part prendre son remède, le résonnement lorsqu'un objet un verre ou en porcelaine se brise ou est posé, le bruitage étrange qu'il y a à chaque contraction de la femme lorsqu'elle est prête à accoucher. Pour continuer avec certaines de ces scènes, le travail photographique est lui aussi original puisque la caméra devient floue lorsque le personnage se sent malade et elle tremble étrangement lorsque la femme a des contractions et commence à "pousser"... de manière générale, la photo de Matthew Libatique est réussie de toute façon, pas aussi belle que pour Black Swan mais très intéressante.
Mother! est donc brillant de par son allégorie-critique bien maîtrisée, maladroit à cause de son récit qui part un peu dans tout les sens avec ses nombreux thèmes qui manquent de développement et singulier car à la fois très original et hyper déconcertant... un film qui divisera mais qui pourrais devenir culte dans 20 ans.