Il y a plusieurs niveaux de lecture à ce film.
Le premier, en somme, c'est le combat modernisé de David contre Goliath.
Un sénateur nouvellement désigné remplace au pied levé quelqu'un décédé. Bien entendu, il est soigneusement choisi pour ne pas déranger l'entre-soi politique et les petits et gros arrangements. Le nouveau sénateur finit par prendre conscience de son inféodation involontaire à ceux qui l'ont nommé sénateur et prend appui sur un projet de camp pour des enfants pour se battre un contre tous avec panache contre l'establishment.
Le deuxième niveau c'est celui de "l'effet boomerang" où le placement d'un homme de paille par les "partisans" du projet du barrage se retourne contre eux appelant une lutte féroce qu'ils n'avaient pas imaginé dans leurs manigances de départ.
Le troisième niveau voit la dénonciation d'une faiblesse de la démocratie voire même la faiblesse d'une démocratie vieillissante matérialisée par un fossé grandissant entre les "élites" au pouvoir politique, économique et médiatique d'un côté et le peuple de l'autre côté dont on ne tient plus assez compte.
Dans les trois cas de figure, on a affaire à une fable où on voit un personnage idéaliste, la risée de tout le monde du fait de ses faux-pas ou de sa naïveté (rafraichissante) se dresser pour se défendre contre une cabale ou des politiciens véreux qui l'ont manipulé et se sont bien foutus de lui.
Autant j'adhère aux deux premiers niveaux, autant le dernier repose sur un scénario qui n'a pas suffisamment de force démonstrative pour tenir la route. Et je lis ici et là beaucoup de critiques qui y voient une dimension politique ou sociétale que le film ne peut pas avoir. Mettre en opposition de façon aussi manichéenne ou populiste (pour employer un terme très actuel), deux projets de nature complètement différente sous le prétexte "le mien se préoccupant des enfants est forcément bien", "le sien organisé par un industriel/homme d'affaires qui s'appuie sur les politiciens et les médias est forcément mal" n'est pas crédible. Dans la vraie vie, cette opposition frontale aurait abouti à un compromis. Après de nombreuses discussions ou de luttes en coulisse, certes. Heureusement.
Restons en donc aux deux premiers niveaux de lecture. Ce qui n'enlève rien des qualités du film et de la réalisation de Capra tout-à-fait excellente et de bon niveau.
La performance du jeune James Stewart est époustouflante et remarquable par le panache de son rôle. C'est la deuxième prestation de James Stewart chez Franck Capra après "vous ne l'emporterez pas avec vous" réalisé l'année précédente.
Bien entendu, c'est la scène où Stewart développe une force mentale extraordinaire au Sénat pour tenir indéfiniment la parole qui est inoubliable et digne d'intérêt. De même les touchantes scènes où James Stewart va se recueillir auprès de la statue tutélaire de Lincoln et des textes gravés sur les murs.
Jean Arthur joue le rôle de la secrétaire/attachée de presse du jeune sénateur. Son rôle est intéressant car elle démarre sur une attitude méprisante pour ce "péquenaud" ou "ce simple d'esprit" et contribue à son humiliation publique. Ce qui est intéressant c'est l'évolution progressive de ses sentiments face à James Stewart conduisant à de belles scènes entre les deux acteurs.
Claude Rains joue le rôle d'un sénateur véreux mais qui possède une conscience et un fond d'honnêteté contre laquelle il lutte.
"Monsieur Smith au sénat" est indéniablement un bon film même si ce n'est pas celui que je préfère de ce réalisateur.