Si on ne cherche pas midi à quatorze heures, on peut facilement se laisser embarquer par la logique paranoïaque de ce surdoué inapte à la vie en société. Pour plusieurs raisons : d'abord, le côté intrigant de son intelligence non conventionnelle, comme l'était celle de Rainman dans les années 90, ou du personnage de Matt Damon plus tard dans Will Hunting. On a tous une fascination légitime pour ce que le cerveau humain est capable de faire, y compris ( ou peut-être surtout) dans le cadre de l'anormalité. Pour ma part, j'éprouve souvent davantage d'intérêt pour les aptitudes à la marge que pour ce qui occupe la grande majorité de mes contemporains, surtout en ce moment, mais bon, c'est juste moi, et je continue à trouver vraiment étrange d'écrire 'bah' au lieu de 'ben' comme on l'a toujours fait, donc, il se peut que mon opinion n'importe que très peu. Deuxième raison de se pencher sur cette histoire tirée par les cheveux : notre petit Rainman a été entraîné comme le Karaté Kid. Rigolo donc, de croiser les effluves, comme dirait Spengler. Egon Spengler, pour vous aider à "trouver la rèf" comme on l'entend à tout bout de champ de la part de sortes de Joey qui demanderaient à Chandler 'do you see what I mean?' d'un air grivois. Autant dire que ça part un peu dans tous les sens aussi, du côté de l'intrigue, parce qu'il faut rajouter aux deux premiers ingrédients une touche du Loup de Wall Street, étant donné que notre petit génie des maths est devenu comptable et qu'il met ses services cherissimes au service de ceux qui ont trop de pognon pour arriver à suivre ce qui se passe dans leurs livres de comptes eux-mêmes. En résumé, les mafias ou entrepreneurs sans scrupules qui se servent sur le dos de la bête avant d'être eux-mêmes plumés par plus vicelard qu'eux. Reste une quatrième influence, trop bien répandue pour faire l'objet d'une citation précise, celle des films dans lesquels un type baraqué au grand cœur vient malgré ses réticences initiales à la rescousse d'une belle en détresse, promise au dépeçage par des méchants ricanants hermétiques à la notion de karma. On referme, on secoue et on laisse fermenter, et voilà, une intrigue plutôt bien tenue, qui n'a pas le temps de lasser, fondée sur un caractère peu amène mais charismatique, à triple fond, qui collectionne les tableaux hors de prix dans une petite caravane prête à décoller pour échapper au reste du monde, qui, on le sait bien, est rempli de crétins malfaisants. Finalement, c'est un peu ce qui m'a retenue jusqu'au bout : la fable sur la solitude d'abord subie puis choisie par un marginal que personne ou presque ne comprend. Finalement, ça fait plus de monde sur la planète que de gens diagnostiqués Asberger, ça... Et ça ouvre des réflexions songeuses sur la nécessité de s'intégrer, l'opportunité d'une certaine dose de paranoïa et les stratégies d'évitement encore à la disposition d'un quidam nihiliste dans un monde qui fait de l'intégration forcée la garantie de son succès financier. En d'autres termes : sur comment les erreurs collectives engendrent des errements individuels vus comme criminels, parfois. Si vraiment on a envie de se torturer le neurone pendant que Ben Affleck zigouille des cinglés en treillis à la solde de cinglés en costard.