Ma première expérience cinématographique, celle que l’on vit entre les quatre murs d’une salle obscure, tient en un mot : Mulan. Un fait supposément symbolique, lui qui renvoie aux prémices d’une cinéphilie alors vierge, et qui dans mon cas se voyait conforté par la cassette audio du long-métrage... celle-ci ayant tenu le rôle de l’inusable compagnon des longs voyages en voiture.
Mais par-delà le prisme intime, que revêt le 36e Classique d’animation de Disney à une échelle plus large ? En traitant d’une légende chinoise, le studio poursuivait alors sa conquête du globe après le récit d’orient, la savane africaine ou encore la mythologie grecque : mais si les Huns y surmontent l’obstacle de la Grande Muraille sans grande difficulté, celui du gouvernement chinois en fut tout autre pour le long-métrage (Kundun étant notamment passé par là).
Sans forcément décortiquer le contexte macro, Mulan est donc de ces productions intrigantes : avec en ligne de mire le respect des fondations et de l’authenticité culturelle, le projet pouvait alors paraître casse-cou lorsque l’on connaît un peu les prédispositions « libres » de Disney. Aussi, sans surprise, les Ruanruans se muent en des Huns davantage renommés, et l’Empereur endosse le costume du vieux sage bienveillant ; le fantastique propre à l’étiquette « légende » prend également ses quartiers, tandis qu’un inévitable humour entre dans la danse... une recette éculée ou encore à même de surprendre ?
A contrario de Hercules une année plus tôt, Mulan fait finalement montre d’un meilleur équilibre des tons : si les bouffonneries de Mushu ou du trio de comic-relief que sont Yao, Ling et Chien mettent parfaitement en exergue sa facette légère, les thématiques de la filiation et de l’honneur demeurent les pierres angulaires d’un récit globalement sérieux. Et s’il s’autorise bien des ajustements historiques, force est de constater que ceux-ci n’entachent que très peu une dimension authentique attendu au tournant : à ce titre, l’on se prête parfaitement au jeu de ce travestissement au tenants et aboutissants nullement faciles, et l’on ne peut qu’apprécier cette capacité qu’a Mulan à verser, par judicieux à-coups, dans des séquences proprement graves.
Il est en effet rare qu’un long-métrage Disney aborde de manière quasi-frontale les conséquences d’une guerre meurtrière (Pocahontas l’avait bien fait auparavant), chose que le personnage de Shan-Yu cristallise à merveille : car en sa qualité de « méchant » dans sa plus pure forme, le Hun incarne un antagonisme dont les multiples armes (stratège militaire et froide cruauté) et traits de caractère (l’orgueil et cette fameuse notion de « défi ») en font un adversaire inédit. De quoi transcender un manichéisme de prime abord patent, lui qui va à contre-courant de la grande majorité de ses prédécesseurs, chez qui l’humour et un zeste de nuance en assurait le souvenir.
Les questions que soulèvent l’action insensée de Mulan, dans le contexte de la Chine d’antan, sont quant à elles davantage sujettes à débat : Disney oblige, sa quête et les tourments liés à sa « condition » sont naturellement édulcorés à l’aune d’un Mushu omniprésent, mais sans pour autant être totalement étouffés. Le long-métrage transpire ainsi un message intéressant mais naïf dans son exécution et, surtout, sa conclusion : si Shang était jusqu’alors un protagoniste illustrant à merveille le poids des traditions et des institutions les servants, l’inévitable romance que dresse l’intrigue terni un peu l’émancipation supposée de son héroïne.
Toutefois, difficile de bouder son plaisir tant Mulan arbore une aura identifiable entre toutes : en nous conviant en cœur de cette Chine de légende où élégance et action (la charge des Huns impressionne) ne font qu’un, nonobstant ses raccourcis et autres ficelles à la sauce occidentale, les studios Disney n’auront pas manqué le coche.