1998 :
Premier long métrage d'animation Disney situé en Asie.
Premier long-métrage Disney dont l'héroïne est travestie en homme, et se comporte comme un homme est censé ( culturellement, dans la tradition chinoise ) se comporter.
Les deux ne vont pas, à première vue, de soi.
Et pourtant...
Et pourtant dans des cultures ( parce que la Chine impériale, évidemment, ce n'est pas UNE culture, ce sont DES cultures très différentes, géographiquement, chronologiquement, et sociétalement ) qui très souvent assignaient aux femmes chinoises une place contrainte et figée, il existe toute une tradition - non, DES traditions - de la femme qui adopte une identité masculine, et le comportement qui, culturellement, va avec.
Dans des sociétés qui exigent des femmes qu'elles soient discrètes jusqu'à l'invisibilité, une femme qui sort de l'anonymat est forcément une femme qui cesse d'en être une.
La plupart du temps, il s'agit de fictions.
De contes.
De légendes.
Celle de Mulan commence dans un poème très ancien ( probablement du 5e siècle après JC -pour situer, on en était à Clovis chez nous, et Mahomet allait naître un siècle plus tard à la Mecque ). Mais les premières traces écrites sûres de cette légende datent d'environ 700 ans plus tard - ce qui fait un sacré gap - dans une anthologie de la dynastie Song.
Dans ce poème, Mulan est une jeune fille Tabghash ( peuple d'origine turco-mongole sinisé, qui, à l'époque supposée de Mulan, était à l'origine de la dynastie Wei, et d'où était aussi issu l'empereur ) qui se déguise en homme pour remplacer son vieux père à la guerre ( contre des huns dans le disney, ce qui n'est pas improbable ).
Cette Mulan reste acceptable parce qu'elle ne le fait que par devoir - pour pallier une indisponibilité masculine - cadre récurrent de ces légendes : c'est seulement quand aucun homme ne peut remplir les fonctions mâles qu'on voit ces héroïnes légendaires prendre le rôle - et qu'ensuite, à l'instant même où sa mission est finie, sitôt revenue chez les siens, Mulan se retransforme en femme modèle et se marie : fermez vite la parenthèse.
Disney s'est un peu écarté du modèle : dans l'introduction, on comprend vite que la jeune fille peine à se conformer aux contraintes sociales.
Et, la guerre finie, le film n'insiste pas trop sur le retour à la norme ( Mulan revient bien chez elle, mais on ne la voit pas reprendre l'apparence "socialement correcte" du début ).
On est donc passé d'une structure narrative dans laquelle une jeune fille "traditionnellement correcte" adoptait une identité masculine sous la pression de devoirs exceptionnels, et uniquement le temps de les accomplir, à une autre forme de narration : une jeune fille ayant du mal à plier sa personnalité aux contraintes genrées culturelles "normales" saisit l'occasion d'y échapper en vivant des aventures ( rendant au passage service à son père ).
Un autre élément modifié par Disney : Les pieds bandés.
Dans les versions les plus connues de la légende, Mulan a, bien sûr, les pieds bandés. Au moment de se travestir, elle défait les bandages et ses pieds reprennent aussitôt une forme et la taille normales ( ce qui est absolument impossible, les bandages - et le mot "bandage" est un euphémisme cachant des pratiques assez horribles - provoquaient une déformation et une atrophie comparable à une mutilation irrémédiable, qui empêchait les femmes de qualité de marcher normalement, et bien plus, de courir ou se livrer à des exercices physiques ).
La Mulan du conte, non seulement retrouve aussitôt l'usage de ses pieds en les libérant ( malgré une déformation commencée dès ses 5 ans ) mais précise même que sa famille a le secret d'une potion dont une seule goutte redonnera leur petitesse à ses pieds une fois l'aventure finie ! On est dans une représentation absurde qui fait de cette mutilation une chose réversible en un clin d'oeil, dans un sens comme dans l'autre.
( la plupart des récits de ses femmes se changeant en hommes comportaient ce genre de "solutions" fantastiques aux obstacles très concrets qui les rendaient impossibles )
L'équipe Disney a préféré ne pas aborder le sujet, et on la comprend. De toute manière, la pratique du bandage était complètement répandue du Xe siècle jusqu'en 1950 environ ( !!! ), donc normale au moment où l'histoire de Mulan fut beaucoup développée et répétée; mais pas vers le Ve siècle, époque où est censée se situer l'action.
On peut donc dire que Disney efface ainsi un anachronisme de la légende...
A sa sortie, en 1998, on a beaucoup reproché au film d'être plein de détails occidentaux étrangers à la culture chinoise;
c'est vrai.
Les dessins animés Disney ne représentent jamais fidèlement les pays et les époques dans lesquels ils se situent. S'agissant de Mulan - une légende elle-même pleine de détails anachroniques introduits au cours des réécritures - le réalisme historique était mission impossible; Et d'ailleurs, depuis la révolution, la Chine moderne est très peu fidèle à la réalité quand elle fait des films soi-disant historiques.
Le Mulan de Disney est donc une fiction fantaisiste.
Le scénario mêle assez bien aventures dramatiques-héroïques / comique / émotions;
Les chansons ne sont pas trop envahissantes;
L'image est assez belle dans l'ensemble - l'équipe graphique était très fière, à l'époque, d'avoir osé un style "zen".
On aurait pu aller plus loin dans la pureté et l'élégance, mais c'est vrai qu'au milieu de l'âge "boite de feutres multicolores fluo" de Disney ( la petite sirène, le roi lion, aladdin, tarzan, la belle et la bête, le bossu, hercule... ) Mulan semble sobre et dépouillé, ça repose les yeux !
Les personnages sont stylisés, mais pas autant que dans Hercule, et plutôt bien construits et bien animés.
Mulan elle-même n'est pas trop lourdement occidentalisée - un gros défaut trop courant chez Disney - et l'ensemble reste assez compatible et cohérent, évitant l'impression de collage de styles.
Pas trop de violences - la pire étant peut-être un détail psychologique : une poupée d'enfant gisant sur un champ de bataille, qui nous indique implicitement mais assez clairement que l'enfant a probablement été tuée par les envahisseurs.Avec les implications affectives enfant/poupée destinées à provoquer une identification du spectateur.
On aurait pu l'éviter sans que le film y perde son intensité.
Un des moments les plus cruels est sans doute celui ou le secret de Mulan est découvert, et où l'homme qu'elle admire et ses camarades l'abandonnent, blessée, dans le froid, sur le champ de bataille. Beaucoup ont souffert avec elle à cet instant, et l'ont vécu comme une atteinte à leur condition de filles.
La fin n'est peut-être pas le meilleur du film.
L'empereur "trop parfait" est assez peu crédible ( rien ne l'est vraiment, à commencer par le chef ennemi, qui sort presque d'un film d'heroic fantasy caricatural ), mais l'action et impressionnante et bien menée.
Un beau Disney classic !