L'étrange cauchemar de David Lynch
Mulholland Drive, meilleur film des années 2000 selon Les Cahiers du Cinéma, immense arnaque pour d'autres, n'a pas cessé de faire parler de lui. Il faut dire que dès sa sortie, David Lynch a tout caché de l'histoire de son film, ne laissant que quelques indices aux spectateurs qui voudraient pouvoir comprendre plus facilement mais sans jamais laisser transparaître quoique ce soit de l'intrigue en elle-même. Illusion et réflexion s'entremêlent et se rejoignent là où les repères du spectateurs sont détruits et remodelés, où la compréhension n'est le fait que de l'intuition. Retour sur l'un des films les plus marquants de sa décennie.
Nul besoin de parler de l'histoire ici. Tout n'est que subterfuge, illusion d'optique, rêves et cauchemars pour amener le spectateur à une réflexion beaucoup moins scientifique : on doit s'écarter des chemins trop connus, des scénarios attendus et l'on doit ouvrir son esprit au message que Lynch nous envoie. Car une seule scène ratée, une seule minute de film d'inattention et le film induit en erreur, le twist final incompréhensible et le spectateur déçu.
Pourtant, le début du film semble limpide, on rencontre deux protagonistes que la vie a placé sur le chemin de l'autre et qui doivent résoudre le mystère de l'identité de l'une d'entre elles. Rien d'étrange alors jusqu'à l'apparition d'indices compromettant le monde visuel et qui instaure une certaine tension chez le spectateur, induit en erreur et perdant peu à peu ses repères. On navigue entre rêve et réalité, on atterrit d'un endroit à un autre sans vraiment savoir comment, le temps n'a plus de limites et le passé et le présent se rencontrent sans que l'on sache comment, on est submergé par les lumières et les personnages d'une ville-personnage qui nous hypnotise pour mieux nous tromper sur l'objet du film, sur sa finalité.
La dualité, sans cesse évoquée dans le film, de la fusion des deux protagonistes au bien contre le mal, au rêve contre la réalité, du passé tant espéré à la triste réalité, l'inconcevable et le possible, on cherche, on se doute, sans certitude aucune, sans jamais pouvoir affirmer et finalement comprendre un film qui nous dépasse, qu'on a dès lors besoin de revoir, pour saisir toutes ses subtilités. Certains argueront que l'on n'est pas sensé devoir revoir un film pour l'apprécier complètement ce à quoi l'on pourra répondre que c'est justement ça la magie du cinéma : ne jamais se satisfaire d'un visionnage, s'émerveiller encore et encore devant tout un tas de détails qui prennent de l'importance aussitôt remarqués.
D'autant plus qu'avec les indices laissés par le réalisateur lui-même et un léger effort de concentration, il est possible pour n'importe qui de pouvoir saisir le propos du film, dans sa globalité. Rien d'exceptionnel à cela, pas de supériorité d'un cinéphile sur un autre, juste une analyse aidée par certains aiguillages d'un film qui se veut trompeur comme peut l'être l'ensemble de la filmographie de son auteur : on partage rêve et réalité, absurde et concret, on supprime les frontières imposées par une éducation cartésienne pour se laisser aller dans le vague, dans l'imaginaire et ce qu'il a de plus beau et surtout de pire à nous offrir. Difficile de distinguer le rêve du cauchemar et la frontière entre les deux, là où chaque scène inspire le bonheur et la peur à la fois, la suspicion d'un complot plus vaste, d'un tour de magie somme toute : on s'émerveille d'être trompés, on cherche à comprendre sans réellement vouloir voir le subterfuge car on préfère rester dans le bonheur de l'ignorance. Et si le truc est dévoilé, tout s'écroule, le monde cruel et réel, les remords et la solitude refont surface ; c'est toute l'histoire de Naomi Watts, au sommet de son art et déjà dans le rôle de sa vie.
Tout est maîtrisé, subtilement mis en place et l'on ne peut que recommander à tout un chacun de découvrir ce film lorsqu'il est prêt à faire tomber les barrières pour se poser des questions différentes. David Lynch signe ici un chef d'œuvre et sa réalisation est peut-être la meilleure de sa carrière, sa direction d'acteurs est toujours aussi bonne et sublime même deux actrices parfaites dans leurs rôles, toujours justes, toujours plus attachantes. Assurément l'un des meilleurs films de la décennie.