Divine, c'est comme Charlot, c'est comme les Marx Brothers, c'est un personnage qui est entré en fusion avec une série de films, au point qu'on en oublie les titres, les histoires et les thèmes - on se souvient, par contre, de certains moments (Divine mange une crotte de chien, Divine est violée par une langouste...).
Aussi, quand on voit un film de John Waters (avec Divine), en vérité on ne voit pas un film, mais on rencontre quelqu'un.
Le rapport qu'on a, nous, spectateurs, à ce genre de films (Divine, Charlot, Marx Brothers...), est un rapport étrange. On ne peut pas s'identifier calmement à eux (comme on le ferait ailleurs, et même pour des films avec des stars, qui sont d'autres monstres, mais leur monstruosité, la plupart du temps, agit hors-champ, contrairement à ceux dont je parle), car nous sommes sans cesse dépassés par eux, presque torturés par leurs apparitions, tenus quelque part entre le plaisir et la démence.
Mais la grande différence qu'il y a entre Charlot et Divine, c'est que Divine n'est pas l'auteur des films où elle apparaît (les Marx Brothers aussi l'étaient, puisqu'ils écrivaient tout, même s'ils confiaient la réalisation à d'autres qu'eux). L'auteur, c'est John Waters. Un cinéaste suffisamment humble pour ne pas écraser par son style le personnage qu'il veut filmer, la déflagration que constitue chacune des apparitions de Divine. Divine, chez Fellini, aurait été une simple créature fellinienne, l'élément d'un ensemble baroque extrêmement composé. Chez John Waters - et dans Multiple Maniacs en particulier - Divine est la loi, l'anarchie qui régit (ou dérègle) chaque plan. Tout est un peu flou, désordonné, artificiel. Le film lui-même est une rencontre : John Waters tente d'être à la mesure brouillonne de son personnage. C'est ce qui fait, je crois, la grande intensité de ces films, qui ne sont pas des chefs d’œuvre de maîtrise où s’impose une grande idée de cinéma, mais qui sont malgré tout des éclats, des avènements quasi-bibliques, qui nous donnent l’idée (imparfaite, nécessairement) de ce qu’est l’amour, de ce qu’est l’autre, de ce qu’est la dévotion à la folie de l’autre.