Cinq. Cinq sœurs adolescentes noyées tour à tour prématurément dans le mécanisme implacable de l’entrée à un âge adulte peu reluisant. Elles n’ont pas achevé leur parcours scolaire que les voilà déjà enfermées dans leurs chambres, cachées du reste du monde. Précieusement conservées pour rester vierges jusqu’au mariage. Comme pour les garder dans leur emballage, avant de les exposer sur les étalages. Ici, certaines libertés ont encore du plomb dans l’aile.
Film résolument engagé, dénonciateur des conditions de la femme en Turquie, « Mustang » paraît très commun dans ses prémices, style documentaire à la photographie soignée à défaut d’être marquante. Nos cinq superbes colombes s’y pavanent, insouciantes, alors que leurs éducateurs les voient déjà comme des fruits presque mûrs. Les libertés se restreignent alors subitement, fini les baignades avec les garçons du village, il est temps d’apprendre à devenir des femmes dociles et serviables.
Le film gagne alors en tension, l’hypocrisie et la sévérité ridicule des adultes s’opposent au désir d’émancipation de ces cinq étalons pas encore domptés. Elles se contentent pourtant d’une transgression détournée, secrète, plutôt que d’une révolte ouverte. Sans intimité, elles vont devoir fléchir devant l’industrialisation du mariage et de l’amour, où après la nuit de noce les beaux-parents viennent vérifier que les draps sont bien tachés de sang. Dès lors, comment se fabriquer un jardin secret, alors qu’elles ne sont même pas libre de leurs mouvements ? A l’arrière d’une voiture, lors d’un match de foot au public exclusivement féminin, les répits sont fugaces. Il est grand temps d’abolir l’oppression, de transformer la prison en forteresse. Un grondement destructeur vaut toujours mieux qu’un mutisme sans passion.
Avec sa bande-son apaisante, ses quelques moments de grâce et ses balancements entre légèreté et drame, « Mustang » s’affranchit très bien de son étiquette de film indépendant austère. Notamment lors d’une dernière partie qui renverse astucieusement les rapports de force, sans ménager les nerfs du spectateur avant d’aboutir à une ultime bouffée d’air salvatrice. Il parvient même à caractériser et différencier chacune des cinq adolescentes, d’ailleurs particulièrement bien interprétées.