Cinq. Cinq sœurs adolescentes noyées tour à tour prématurément dans le mécanisme implacable de l’entrée à un âge adulte peu reluisant. Elles n’ont pas achevé leur parcours scolaire que les voilà déjà enfermées dans leurs chambres, cachées du reste du monde. Précieusement conservées pour rester vierges jusqu’au mariage. Comme pour les garder dans leur emballage, avant de les exposer sur les étalages. Ici, certaines libertés ont encore du plomb dans l’aile.


Film résolument engagé, dénonciateur des conditions de la femme en Turquie, « Mustang » paraît très commun dans ses prémices, style documentaire à la photographie soignée à défaut d’être marquante. Nos cinq superbes colombes s’y pavanent, insouciantes, alors que leurs éducateurs les voient déjà comme des fruits presque mûrs. Les libertés se restreignent alors subitement, fini les baignades avec les garçons du village, il est temps d’apprendre à devenir des femmes dociles et serviables.


Le film gagne alors en tension, l’hypocrisie et la sévérité ridicule des adultes s’opposent au désir d’émancipation de ces cinq étalons pas encore domptés. Elles se contentent pourtant d’une transgression détournée, secrète, plutôt que d’une révolte ouverte. Sans intimité, elles vont devoir fléchir devant l’industrialisation du mariage et de l’amour, où après la nuit de noce les beaux-parents viennent vérifier que les draps sont bien tachés de sang. Dès lors, comment se fabriquer un jardin secret, alors qu’elles ne sont même pas libre de leurs mouvements ? A l’arrière d’une voiture, lors d’un match de foot au public exclusivement féminin, les répits sont fugaces. Il est grand temps d’abolir l’oppression, de transformer la prison en forteresse. Un grondement destructeur vaut toujours mieux qu’un mutisme sans passion.


Avec sa bande-son apaisante, ses quelques moments de grâce et ses balancements entre légèreté et drame, « Mustang » s’affranchit très bien de son étiquette de film indépendant austère. Notamment lors d’une dernière partie qui renverse astucieusement les rapports de force, sans ménager les nerfs du spectateur avant d’aboutir à une ultime bouffée d’air salvatrice. Il parvient même à caractériser et différencier chacune des cinq adolescentes, d’ailleurs particulièrement bien interprétées.

Marius_Jouanny
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Journal d'un cinéphile : année 2015, Les meilleurs films de 2015 et Festival international du film de La Rochelle 2016

Créée

le 6 sept. 2015

Critique lue 457 fois

8 j'aime

5 commentaires

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 457 fois

8
5

D'autres avis sur Mustang

Mustang
ravenclaw
10

La chevauchée sauvage

Il fait une chaleur à crever dans un petit village turc au bord de la Mer Noire. Sonay, Selma, Ece, Nur et Lale, cinq sœurs, se jettent dans les vagues avec fougue. Elles jouent et rient, juchées sur...

le 25 juin 2015

141 j'aime

17

Mustang
Rawi
8

Assignées à résidence

Dans la Turquie profonde, cinq soeurs respirant la joie de vivre malgré la mort de leurs parents sont élevées dans la tradition par leur oncle et leur grand-mère. Un soir, en sortant de l'école,...

Par

le 29 juil. 2015

73 j'aime

3

Mustang
mymp
5

Le club des cinq

Elles ont envie de s’amuser, de s’éblouir et de courir, leurs longs cheveux dans le vent. Elles ont envie d’aller à un match de foot et d’aimer un garçon, aussi. Rien d’anormal a priori, mais ce...

Par

le 23 juin 2015

68 j'aime

14

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 5 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

44 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

38 j'aime

4