Le titre évoque avec une familiarité enfantine, presque déconcertante, ce lieu à la fois réel et mythique qui cristallise les aspirations de Mike, jeune prostitué à la recherche de sa mère et dont le film dresse le portrait. Hanté par ses fantômes, il erre en compagnie des vagabonds de Portland, en quête d’un bonheur illusoire et perdu qu’il s’essaie à retrouver auprès de Scott. Mais c’est au risque de se perdre. La première séquence, située sur une route dont il semble prisonnier, dit bien l’errance à laquelle le personnage est condamné. Idem pour ces violents accès de sommeil qui laissent surgir, à l’écran, un flot d’images accélérées, rendues menaçantes par la récurrence de motifs obsessionnels - la maison, la mère.


Mais My Own Private Idaho (1991) dresse également le portrait de Scott, amant de Mike qui apparaît surtout - l’ambiguïté, bien entendu, n’est pas fortuite - comme un frère ennemi. Fils du maire, il doit en effet toucher un héritage qui, contrairement à Mike, le mettra définitivement à l’abri du besoin.


Comme toujours chez Gus VAN SANT, la naissance du désir et les choix difficiles de l’adolescence sont évoqués avec une grande justesse, notamment grâce à l’attention portée aux acteurs. L’interprétation de River PHOENIX croise ainsi habilement une théâtralité assumée et un réalisme psychologique feutré mais puissant. La quête de la mère, fil conducteur du récit, ouvre la voie à un imaginaire épique qui offre à l’audace de Gus Van Sant un terrain privilégié pour explorer les thèmes qui lui sont chers.

Le cinéaste livre ici un patchwork d’expérimentations qui dynamisent le film et mettent notre sensibilité à fleur de peau. On se perdrait dans l’inventaire des procédés qui, tour à tour, s’amusent à briser tout effet de réalisme : ellipses surprenantes, mouvements de caméra à l’arrachée, accélérations subites. Ces effets qui, chez tant d’autres, nous paraîtraient mécaniques ou forcés, épousent avec justesse le propos du cinéaste. Bien sûr, celui-ci n’abandonne jamais son film à la pure expérimentation, et certaines séquences comiques, comme celle où les couvertures des magazines porno prennent vie, séduisent et amusent par leur kitsch délibéré. Elles nous rappellent aussi que l’illusion est un échappatoire bien incertain au malaise adolescent.

Car c’est bien sous l’égide de cette illusion mystérieuse et baroque, un côté Shakespeare que se situe le long-métrage. La caméra s’immobilise par instants pour nous livrer des scènes de pure théâtralité (certains dialogues sont empruntés à la pièce Henri IV), évoquant avec grandiloquence les enjeux d’influence et de pouvoir que déguise cette vague histoire d’héritage et de quête de la mère. L’apogée du dispositif réside bien sûr dans les séquences où le couple formé par Mike et Scott côtoie les vagabonds de Portland, dominés par la figure charismatique et tutélaire de Bob Pidgeon. Gus Van Sant, comme le fera plus tard Baz LUHRMANN, restitue avec force toute la violence du langage de Shakespeare, sans jamais sacrifier la profondeur du propos à la modernité du style. En cela il réussit le pari audacieux d’un film à la fois déroutant formellement et psychologiquement très fort.

Une véritable aventure, au carrefour des préoccupations du cinéaste sur l’adolescence ou l’Amérique.

Créée

le 12 déc. 2022

Modifiée

le 12 déc. 2022

Critique lue 25 fois

3 j'aime

Critique lue 25 fois

3

D'autres avis sur My Own Private Idaho

My Own Private Idaho
Nikki
7

Use Your Illusion.

La première scène s'ouvre sur un jeune homme à l'air égaré mais sûr de lui, planté au beau milieu de nulle part. Il porte un petit bonnet, couvrant sa coupe blonde rebelle et des habits usés, signe...

le 27 févr. 2014

46 j'aime

7

My Own Private Idaho
reno
8

Critique de My Own Private Idaho par reno

Vingt ans après Easy Rider que ramenait Gus Van Sant sur la route ? Que restait-il à dire de cette histoire actée que les Etats-Unis entretiennent avec leur origine et sa mise en image...

Par

le 7 mars 2012

24 j'aime

5

My Own Private Idaho
TheBroCode
4

My Own Private Critique

My Own Private Idaho fait partie de ces films dont on ne sait quoi penser. C'est une tranche de vie de paumés, esquintés par la vie, à l'enfance malheureuse qui se répercute sur leur présent. Il n'y...

le 3 sept. 2016

20 j'aime

2

Du même critique

As Bestas
Spectateur-Lambda
8

Critique de As Bestas par Spectateur-Lambda

Rodrigo SOROGOYEN m'avait déjà fortement impressionné avec ses deux premiers longs métrages Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2017) et les échos que j'ai eu du précédent sorti avant celui-ci...

le 2 mai 2023

9 j'aime

2

Elephant Man
Spectateur-Lambda
9

Critique de Elephant Man par Spectateur-Lambda

Alors que jusqu'ici David LYNCH n'avait réalisé que quelques courts métrages expérimentaux et un premier long métrage Eraserhead (1976) qui le classaient parmi l'avant garde artistique et lui...

le 3 oct. 2022

9 j'aime

5

La Mouche
Spectateur-Lambda
8

Critique de La Mouche par Spectateur-Lambda

Retrouver la société de production de Mel BROOKS au générique de ce film n'est pas si étonnant quand on se souvient que le roi de la parodie américain avait déjà produit Elephant Man (1980).Un autre...

le 3 oct. 2022

7 j'aime

4