Quarantaine rugissante et streaming florissant, je reviens.
Drôle de remarque, ma dernière critique, c’était Climax. Je dois être un peu cinglée, avoir un certain problème avec la matière brute, le cinéma qui retourne les entrailles, les films chocs, les uppercuts à 24 images par seconde qui laissent pantois, vide, chancelant et tremblant.
Si j’avais vu Mysterious skin à 16 ans, je l’aurais rangé à côté de Requiem for a dream d’Aronofsky. À 17, des Nuits Fauves de Collard, avec sous-tons colorimétriques d’American Honey.
La beauté magnétique de Joseph Gordon-Levitt, soit. L’esthétique « shoegaze » (comme dirait l’autre), la personnalité de Gregg Araki, soit. Mais le tourbillon intérieur, ça, je ne m’y attendais pas. Digérer Mysterious Skin, lent travail de réception-analyse-compréhension, ou, tout simplement, prendre le film tel quel. Regarder les céréales tomber sur la tête du meilleur joueur de baseball de l’équipe, voir deux grands garçons serrés sur un canapé un soir de Noël, écouter, pleurer — passage obligé —. Regarder une amitié adolescente, des pérégrinations jusqu’à New York. Peut-être la scène de sexe la plus douce du cinéma, couplée à la plus violente quelques secondes plus tard.
À 16 ans, j’aurais sûrement trop esthétisé Mysterious skin : ma manie des films coup de poings, Gaspar Noé et compagnie, j’aurais tout de suite rangé.
Je ne critique même pas, tout compte fait, parce que la seule recommandation, ou remarque que je pourrais faire, c’est de le voir. Instructif, esthétique, édifiant, révoltant, hypnotisant.
Mais il y a autre chose, qui révèle un côté plus profond de mon rapport au cinéma. Je regarde des films et je me fais un avis tranché : Grave, je savais déjà tout et j’ai su dès le titre, dès le générique, que j’allais aimer. Je ne sais pas encore, en écrivant à chaud, à quel point j’ai aimé Mysterious Skin. Le film est fini depuis un quart d’heure, j’y repense encore.
C’est décidé, je l’aime : pour l’infinie tendresse d’une amitié en temps de SIDA, pour la voiture violette et les fleurs d’Eric, pour cette narration elliptique, dérangeante, mais tellement intelligente.
À 19 ans, je ne range plus Mysterious skin, je le reçois.