[Publiée le 27 Septembre 2023 sur Un Certain Cinéma]
De loin, ce qui semble relier de nombreux films de Radu Jude, ce sont leurs titres, si longs et poétiques à la fois. Néanmoins, il serait une erreur évidente de s’arrêter à cela. Radu Jude, c’est avant tout un portrait d’une Roumanie libérée des méfaits de l’Est et volontairement associée de manière heureuse et enthousiaste aux gentils capitalistes de l’Ouest. Radu Jude, c’est ce commentaire aussi sur la création de l’image, de la vidéo, et de sa diffusion, de la capacité trop peu citée des réseaux sociaux de mettre en lumière ceux que le cinéma, roumain d’une part mais aussi mondiale, ne montre pas ou trop peu. Radu Jude, c’est avant tout une expérience unique, une opportunité d’un cinéma dont le seul adjectif « différent » ne suffirait à qualifier.
N’attendez pas trop de la fin du monde apparaît déjà comme une blague de par son titre, un intitulé qui donne le ton de l’œuvre, puisqu’en effet il est d’abord question d’un film drôle. Une tonalité choisie par le cinéaste qui lui permet de se sentir à l’aise dans l’exercice parfaitement réussie de la critique satirique. Le monde menacé, ici, est celui d’Angela, une assistance de production surexploitée qui le temps d’une journée traverse à maintes reprises Bucarest jusqu’à l’épuisement total.
Radu Jude met la lumière sur un excès de violence plus que majeur au sein de cette société roumaine : une violence des mots, du vocabulaire, certes, mais aussi une violence sociale, une pauvreté extrême, des conditions de vie désastreuses, une violence du travail également, où l’ouvrier, le dos déjà usé par les efforts physiques imposés, doit également assumer les erreurs de l’entreprise au risque tragique que celle-ci ne voit sa bonne réputation salie par un enfoiré de pauvre qui n’avait qu’à porter son casque de sécurité alors qu’il rentrait chez lui après un nombre excessif d’heures supplémentaires effectuées.
La violence du film est aussi celle de la réaction face à ces injustices, où Angela telle une « Charlie Hebdo » d’Instagram, se donne au jeu de la caricature grossière de comportements sexistes et dégradants entre autres. Néanmoins, Angela est avant tout une anti-Alice aux pays des merveilles par excellence, telle une Alice certes elle déambule dans un monde et enchaîne les rencontres, mais de quel monde est-il question ici ? Et de quelles rencontres ? Si Alice est une petite fille pure et mignonne, Angela est une femme pervertie et grossière ; si Lewis Caroll base son histoire sur un rêve, Radu Jude la démarre par le réveil et empêche sa protagoniste de dormir durant toute l’œuvre.
D’un glaçant constat sur les accidents de la route mortels, plus qu’excessifs en Roumanie, à un faux plan-séquence de quarante minutes où un ancien travailleur, désormais handicapé, lutte contre une entreprise voulant censurer son témoignage, Radu Jude dresse, par-delà le portrait d’une Roumanie actuelle, le portrait d’un monde où l’inégalité règne et se justifie avec un tendre mépris envers les classes exploitées, bien qu’heureusement, comme le met tant en avant le film, il nous reste bien quelques images pour protester.