Un film où tout le monde est horrible - mais où personne n'est accusé. Radu Jude vise plus loin que ses personnages ; avec eux, il fait le portrait le plus acerbe qui soit de la violence sociale, et ce qui est montré, ce ne sont pas des salauds (pas seulement, disons), mais la structure même du travail, de la ville, de l'Europe, de l'Histoire, etc... Les personnages sont tous pris dans des structures immenses auxquelles ils participent, et qui les broient sans qu'ils puissent vraiment se débattre.
Radu Jude montre un monde qui agit contre les humains, à leurs dépens. La dimension psychologique est totalement dégonflée par le politique : les personnages sont réduits à leur pulsionnalité. Ainsi, on voit un groupe d'individus qui subissent des humiliations et tentent de se décharger comme ils le peuvent. L'héroïne, Angelica, est fantastique : dans sa robe à sequins, elle parcourt la ville à la recherche de victimes d'accident du travail, buvant du Red Bull pour ne pas s'endormir au volant car elle travaille 16 heures par jour, tout en tentant de régler le déménagement de la tombe de ses grands-parents. Mais parfois, elle s'arrête au bord de la route, change de visage et insulte le monde entier sur Instagram (comme le héros d'American Psycho qui tuait quelqu'un entre deux réunions). Il n'y a plus de désir, il n'y a que de la décharge - la transformation du monde en ordure, et celle de l'être humain en monstre.
Radu Jude est par moments encore un peu prisonnier de sa radicalité (et le film se retourne contre le spectateur), mais c'est beaucoup moins le cas que dans les précédents (je dirais même que ça n'est presque plus le cas), et surtout, personne ne fait du cinéma comme ça, aussi cruel, aussi réel. Chaque minute supplémentaire du film élève la précédente, la tord ou la complexifie, la nuance ou la pulvérise. Il y a une intelligence à l'oeuvre : tout est drôle et terrible.