Un film qui me faisait un peu peur, que ce soit pour sa durée, ou pour sa bande-annonce pas très enchanteresse. Mais je m'y suis jeté, et il réussit effectivement à rester passionnant, avec des références dans tous les sens, une critique de la société roumaine à la fois pertinente et irrévérencieuse, et tout de même quelques passages de stylisation gratuite.

Le film possède un lore finalement assez conséquent, où le seul visionnage du film ne vous permettra pas de saisir toute la subtilité de ce qu'il raconte. Cependant, il se suffit à lui-même, et parvient à retranscrire quelque chose d'assez universel.

On y parle de la toxicité des réseaux sociaux, l'actrice principale Ilinca Manolache (qui gère un max pendant tout le film) interprète Angela le personnage principal du film, qui lui-même incarnera un immonde mec, grâce à un filtre Instagram qui la change en homme (je ne l'avais pas compris dans la bande-annonce, et même au début du film j'ai cru que c'était deux personnages différents), ce qui lui permet de se lâcher et de dire des énormités. Telle une caricature extrême à la "Charlie Hebdo" (sic). L'Instagram de cette caricature existe d'ailleurs bel est bien, vraisemblablement. Et n'oublions pas le caméo de Uwe Boll, qui insultera les critiques de cinéma (et donc nous, par procuration).

Le film se permettra aussi de faire d'innombrables références à tout et n'importe quoi, notamment au chef étoilé Anthony Bourdain qui se serait suicidé (et effectivement, après que sa femme Asia Argento a couché avec Hugo Clément, histoire totalement invraisemblable), ou encore Jean-Luc Godard qui se serait fait euthanasié (je ne m'en souvenais plus tiens), Georges Méliès qui a fait une pub pour une moutarde, Kurt Waldheim ancien SS président de l'Autriche, etc.

Il montrera aussi la société roumaine, que ce soit pour dénoncer la folie des grandeurs et la corruption des politiciens, ou que ce soit pour montrer la pauvreté et les difficultés des petites gens, mais sans misérabilisme. Le pathétique des situations se verra même à la qualité de l'image, noir et blanc, grainé, dégueulasse. Mais deux exceptions à cela.

Déjà, le film se permet de mettre (beaucoup) d'extraits d'un vieux film roumain en couleur des années 80, où on y suivra une chauffeuse de taxi, pour faire écho à l'époque contemporaine du film, notamment car le personnage de la chauffeuse y continuera d'être joué. Là où c'est un peu étonnant, c'est que le montage y sera truqué d'une certaine manière, avec des effets de ralentissement extrêmement glauque, rendant le son horrifique, et avec des zooms sur certains figurants, totalement gratuits.

On pourrait aussi citer la diapo extrêmement longue, qui nous montre une série de tombes toutes les 2 secondes pendant plusieurs minutes, dans un silence total, après avoir évoqué l'agressivité des conducteurs roumains, ainsi que la dangerosité des routes, et ici tous les endroits d'accidents mortels sont ornés d'une tombe.

Et enfin, la dernière partie du film sera en couleur, sans grain, et surtout, entièrement en plan séquence fixe. Et il me fera pas mal pensé à un autre film roumain récent, R.M.N. de Cristian Mungiu, et son fameux plan séquence de la salle des fêtes, avec notamment le parti-pris d'avoir la plupart des personnages qui parlent en dehors du cadre. J'adore les plans-séquences, et celui-ci est vraiment long, et pas mal conséquent en termes de dialogue.

Le générique de fin se déroulera sur du papier, entièrement écrit à la main, assaisonné de petites citations, notamment de Kobayashi Issa, et dont les logos des sociétés seront affichés depuis un fichier Word avec souris apparente. L'équipe de tournage s'offrant d'ailleurs un petit caméo, complètement visible en ombre sur un des plans pendant le film.

Bref, nous avons là un film bien étonnant, qui possède une stylisation parfois un peu gratuite (ces maudits ralentis dans ce film roumain des années 80), avec même de très longs plans sur Angela dans les bouchons. Mais le film n'est pas aussi bizarre qu'il ne le prétend, il possède beaucoup de dialogues, des plans léchés, avec un plan-séquence remarquable, un choix pléthorique de musiques roumaines qui tabassent, des références invraisemblables dans tous les sens. Avec son discours des petits gens contre les puissants, le cinéma artistique contre le "cinéma d'entreprise", Radu Jude vise juste, en en faisant des caisses, tout en restant dans le ton.

(Vu le 30 septembre 2023 au cinéma)

On en parle dans le Ciné-florg #55

Tiflorg
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le 26 oct. 2023

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