Difficile d'écrire la critique de ce film sans faire le procés de son réalisateur. Difficile de faire l'éloge d'une oeuvre aux idées toxiques. Mais puisque mon intention est de visionner tous les plus grands films de l’histoire du cinéma, je ne saurais passer à côté de cette œuvre encensée, autant que contestée, de 1915. « Naissance d’une nation » de David Griffith, considéré comme le premier blockbuster, mais aussi comme l’œuvre qui aura ressuscité le Ku Klux Klan (rien que ça, le bâtard…).


Avant tout, je dois avouer que j’ignorais la polémique dont faisait l’objet cette production, je ne connaissais ni l’œuvre ni le réalisateur, c’est vous dire à quel point j’ai été étonné et consterné lorsque j’ai saisi la teneur abjecte du message qu’il véhiculait.


En 3h10 (oui c’est très long) le film retrace la guerre de Sécession aux États-Unis, à travers le quotidien de deux familles, l’une du Nord et l’autre du Sud. La première partie de l'histoire se concentre sur les conflits et ses ravages, la deuxième, plus étonnante, s’intéresse aux « sauveurs du Ku Klux Klan, qui éradiquent la vague des barbares noires » (je ne fais que citer les éléments de langage du réalisateur).


À un certain moment, je me suis sentie très perplexe, et je me suis interrogé : est-ce que je comprends bien ce qu’il y a à comprendre ? Est-ce que le divertissement que je suis en train de regarder fait l’apologie du racisme en glorifiant la race blanche, en discréditant les noirs et en dédramatisant l’esclavagisme ? Plus la seconde partit se développait, plus mon sentiment se précisait… Oui, oui, le réalisateur ne se contente pas de raconter les ravages de la guerre, comme il le promet (et s'en excuse) dans l’introduction, il prend le parti des sudistes et des révisionnistes (là n'est pas le problème), et il ne s’embarrasse pas avec ses discours haineux et racistes à l’encontre des noirs, et comme cela n’est pas assez provocant et méprisable, il profite de l’occasion pour présenter toutes les merveilles accomplies par le Ku Klux Klan... à vomir.


Il y aura bien quelques publics qui trouveront au réalisateur des circonstances atténuantes, originaire du sud, il aurait quelques prédestinations, ou je ne sais quoi… D’autres diront qu’en 1915, les mœurs étaient différentes. Certains mêmes ont eu le cran d’affirmer que l’Histoire s’est déroulé telle qu’elle est décrite dans ce film. Pourtant un peu de recul, de bon sens et un minimum de réflexion suffirait à démonter les arguments minables de cette version des faits. À quel moment peut-on penser qu’un homme asservi peut trouver quelques avantages à sa condition ? Qu’un panier rempli vaut mieux que la liberté ? Qu’un noir sympathisant des blancs prendrait les armes pour lutter contre ses frères dans cette guerre pour l’égalité ? J’ai été extrêmement mal à l’aise lorsque le film nous explique que les noirs sont des barbares et qu’ils ne sont pas civilisés. L’usage des fameux blacks-face est aussi particulièrement révélateur, et je comprends désormais pourquoi cette pratique déchaine les passions. Dans cette œuvre, on relèvera que les véritables acteurs noirs jouent les scènes légères, de constitutions ou seulement secondaire. En revanche, les acteurs blancs grimés en noir jouent des scènes odieuses, celles où les noirs tuent les blancs, celles où les noirs ont des comportements de barbares… Quel drôle de pratique ! Je voulais développer plus longuement sur ce point, mais comme je ne peux faire que des suppositions, je m’en abstiendrais.


D’un point de vue scénaristique, et même si l’œuvre se donne quelques légitimités en parlant de reconstitutions, le résultat est simplement minable et par-dessus tout il appelle à la haine. Regarder « Naissance d’une nation » c’est un peu comme écouter les bêtises déblatérées par un électeur du Front National, dans les deux cas on s’aperçoit que la vérité est déformée, tronquée, exagérée. Si j’avais dû juger l'histoire du film à elle toute seul, j’aurais attribué la pire note.


Mais les techniques, le montage, et tous les moyens mis en œuvre sont dignes d’un grand film. D’une certaine manière, on pourrait dire que Griffith était un homme aux idées tordues, mais on ne peut lui lever qu’il était un réalisateur de talent, pour son sens de la narration autant que pour ses immenses ambitions qui transparaissent largement à l’écran. Certains plans larges sont époustouflants, le nombre de figurants est incroyable, et je dois dire que le résultat visuel global m’a bluffé, mais bien sûr, pour l’apprécier à sa juste valeur il faut savoir replacer l’œuvre dans son époque.


Pour autant, je n’ai pas très envie de m’attarder sur les bons côtés de cette production, car son discours haineux me parasite et je suis même un peu gêné d'écrire la critique d’une telle œuvre. Elle justifierait presque à elle seule la censure (presque). Aussi elle mériterait d’être oublié, et surtout, elle mériterais de ne plus être cité parmi les meilleurs films de l’histoire du cinéma. Mais Griffith fait partie de l'histoire du 7e Art, d'une certaine manière comme Hitler fait partit de l'histoire de l'humanité. En cela, il serait bien difficile de le désavouer, et ce malgré l'horreur de son oeuvre.

Casse-Bonbon

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