La pieuvre a ceci de particulier, entre autre curiosité anatomique, qu'elle a trois cœurs. Et c'est un récit à trois cœurs, trois cœurs battants, un chassé-croisé le temps d'un été qui s'écoule au fil de l'eau chlorée. Autour de la piscine, au gré de l'adolescence, les premiers émois se font sentir avec leur lot de douleurs et de frustrations.
Pour son premier film, Céline Sciamma se penche avec beaucoup de délicatesse sur un sujet qui semble lui tenir à cœur, leitmotiv de ses œuvres à venir: ces âges délicats de transition et l'éclosion du désir. Et pour un premier essai, la jeune réalisatrice maîtrise plutôt bien sa caméra. Sans jamais trop en faire, elle nous plonge dans la langueur moite des étés vides, des étés qui s'étirent à ne rien faire. Sur une musique minimaliste qui semble couler goutte-à-goutte, elle resserre son regard sur ses actrices.


Car c'est une histoire sans réel enjeu où tout s'articule autour des personnages.
Anne, écartelée entre la femme qu'elle n'est pas encore et l'enfant qu'elle est toujours, entre séduction maladroite et brusquerie juvénile. Qui à force de vouloir aimer et être aimée oublie de s'aimer.
Floriane, le regard dédaigneux sous l'ombre frangée de ses paupières, la moue boudeuse trop rarement éclairée de brefs sourires, perdue dans ce corps qui a finalement grandi trop vite.
Et Marie, mutique jusque dans son corps frêle et longiligne. Un corps qui prend son temps mais où sourd un désir qui n'arrive jamais à franchir la barrière de ses lèvres serrées.
Elle est le trait d'union de ce trio qui ne sera jamais vraiment réuni, le dénominateur commun d'un double duo. Elle va de l'une à l'autre, tiraillée entre un reste d'enfance dont elle ne peut se défaire tout à fait et ce phénomène magnétique qui semble s'ancrer au creux de son ventre.
Plus rien n'existe en dehors d'elles. Les autres personnages ne sont là que pour leur dessiner un décor. Les mots sont rares et les gestes, économes, n'en deviennent que plus parlants. Mais les silences ne sont pas vides. Ils se remplissent du rythme des respirations, du martèlement des douches sur le carrelage, des frissons des nageuses sur les bancs des vestiaires, de la mélodie aquatique des corps en apesanteur dans l'eau.


L'été s'achève, doucement cruel, sur un baiser rouge sang rincé au chlore. Les sentiments se diluent et se mélangent. Deux nénuphars se laissent flotter dans une nuit bleutée. Les pieuvres s'apaisent le temps d'une communion aquatique...
Un film à quatre cœurs peut être, car on sent battre derrière ceux de Anne, Floriane et Marie, celui de la réalisatrice.

Cocolicot
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le 3 mars 2017

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