Tout commence avec Auguste Renoir, célèbre peintre et fieffé antisémite à ses heures, qui tombe sous le charme d'une adolescente de 15 ans, Andrée Madeleine Heuschling. Cette dernière devient la muse de l'artiste entre 1915 et 1919 et pose le plus souvent nue pour des œuvres picturales qui deviendront célèbres dans le monde entier : Blonde À La Rose (1915), Le Concert (1918) ou encore Les Baigneuses (1919). Fils d'Auguste, le futur cinéaste Jean Renoir tombe également éperdument amoureux de la jolie adolescente qui rêve de devenir actrice. Et c'est seulement pour en faire une vedette de cinéma sous le pseudonyme à consonance hollywoodienne de Catherine Hessling que Renoir Jr. délaisse sa passion pour la céramique et se lance à corps perdu dans le 7e Art. Après avoir épousée Andrée en 1920, Jean Renoir rédige un premier scénario, Catherine, spécialement écrit pour sa femme et qu'il réalise lui-même. Si l'œuvre reste d'abord inédite, elle se voit remontée en 1927, par l'un de ses acteurs, Albert Dieudonné, et sort enfin en salles sous le titre Une Vie Sans Joie. Sans succès. Une déconvenue qui avait déjà été précédée par le fiasco public de La Fille De L'Eau, second film du couple.

En 1926, Jean Renoir dépense alors sans compter pour concrétiser la starification de sa jeune épouse. Il vend ainsi quelques toiles de son père pour acquérir les droits d'adaptations de Nana, le célèbre roman d'Émile Zola, monter sa propre société de production et faire bâtir de somptueux décors lui permettant de magnifier ses profondeurs de champ afin de mieux montrer le luxe dans lequel vit l'héroïne. Pour synthétiser son script, Renoir supprime quelques personnages du roman, dont le fils de Nana, qu'elle a eu à l'âge de 16 ans. Le cinéaste se concentre essentiellement sur l'arrivisme vénal de cette jeune femme consciente de sa beauté physique et devant laquelle le tout Paris se prosterne. Comtes, vicomtes et autres puissants de la haute bourgeoisie se pâment ainsi de désirs pour cette comédienne de théâtre pourtant peu talentueuse et plutôt vulgaire. Le pouvoir de la beauté se voit ainsi disséqué à l'écran par un Renoir qui en est également le jouet dans sa vie privée.

"Moi, je n'ai jamais voulu être vedette de cinéma, jamais ; c'est Renoir qui disait : j'userai s'il le faut de mon droit marital pour te faire tourner." avouera bien plus tard la comédienne lors d'une interview. Véritablement obsédé par la beauté de sa femme, il n'y a rien d'étonnant à ce que Jean Renoir choisisse d'adapter Nana. L'effroyable destruction que sème la jeune femme dans le cœur des hommes qui la convoitent est peut-être le symbole de l'adoration absolue que le cinéaste éprouve alors pour sa muse qui, je le rappelle, était d'abord celle de son père jusqu'à sa mort.

À Paris, sous le Second Empire, Anna Coupeau dite Nana est une petite actrice sans envergure au Théâtre des Variétés. Malgré l'appui financier du comte Muffat, qui s'est épris d'elle, la jeune femme n'obtient aucun succès. Mais elle comprend vite qu'avec son pouvoir de séduction dû à son physique, elle a tout intérêt à jouer les courtisanes entretenues. Devenue l'une des femmes les plus courtisées de la capitale, Nana fait tourner la tête des puissants, prêts à se damner pour elle…

Jolie comédienne débutante et ambitieuse suppléant le talent par une verve populacière, la Nana de Renoir est pourtant très loin de l'ambiguïté manipulatrice de celle de Zola. Avec un jeu ultra théâtral et minaudant sur chaque plan, Catherine Hessling reste malheureusement guère attachante, ce qui affecte indéniablement sa dangerosité et laisse place à la faiblesse des hommes envers un simple physique attrayant. Mais en ce sens, l'œuvre reste immanquablement contemporaine puisque l'attirance physique n'a jamais été aussi primordiale au sein de la génération milléniale bien plus encline à favoriser la forme que le fond. De ce fait, les incessantes et absurdes minauderies de Catherine Hessling restent pertinentes à la découverte de l'œuvre en 2025.

Avec une direction artistique lorgnant vers celle des métrages d'Erich von Stroheim, alors idole de Renoir, mais aussi vers celle des films hollywoodiens dont ne se lasse pas Catherine Hessling, Nana ne cesse de gagner en amplitude tout au long de son action. En bonus, deux sublimes scènes expressionnistes éclatent à l'écran lors des turpitudes finales de l'héroïne face à ses responsabilités destructrices. Le plus naturellement du monde, Renoir dévoile ici qu'il est un talentueux réalisateur et ses futures expériences cinématographiques le prouveront en élevant son art au firmament.

En 1926, malgré ses nombreuses qualités artistiques et techniques, Nana passe totalement inaperçue lors de sa première au Moulin Rouge et sape un temps le moral du couple. Avec son look à la Theda Bara, première grande vamp du cinéma mondial, Catherine Hessling tourna encore une petite douzaine de films, dont 3 autres pour son époux, avant d'abandonner toute activité artistique. Elle se remaria bien plus tard, en 1958, et décéda le 28 septembre 1979 à La Selle-Saint-Cloud. Longtemps oubliée, la comédienne est désormais remise à l'honneur lors de diverses rétrospectives dans des festivals aux quatre coins du monde. Elle s'est également vue interprétée à l'écran par Christa Théret dans Renoir, réalisé par Gilles Bourdos en 2012, aux côtés de Michel Bouquet (qui incarne Auguste) et Vincent Rottiers (qui incarne Jean).

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