Angle mort
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
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Un Napoléon qui tremble de peur lors de la prise de Toulon, se gamelle dans l’escalier du Conseil, crache de son cheval, distribue avec nonchalance un morceau de pain à ses soldats affamés (tout en en mastiquant lui-même), ne cesse de renifler, de s’essuyer la morve de son nez avant ses yeux (et à de nombreuses reprises, comme lors de son divorce avec Joséphine qu’il claque), qui se ploie sur la plage lors de son fameux come-back, en fait affalé lourdement, et dont on prend la peine de montrer qu’il essuie aussitôt nerveusement les grains de sables collés sur ses manches.
« Vous êtes les braves d’Austerlitz… »
La consigne de Ridley Scott à Joaquin Phoenix est claire : incarner un personnage à bas quotient intellectuel, dénué de charme et de compétence sociale, colérique, grotesque, à la démarche pataude et voutée, au vocabulaire pauvre et l’élocution ralentie, aux allocutions inexistantes, à l’allure abrutie.
Au sujet des batailles, les caméras veulent nous faire retenir que Napoléon a :
- attaqué l’ennemi pendant son sommeil
- manqué de respect au patrimoine culturel (momie, pyramides)
- atrocement piégé des soldats qu'il a canonné sur un lac gelé
- eu un bilan catastrophique
- une garde qui cavalait comme autant de guignols autour des géniaux anglais assemblés en carrés
Il n’est donc aucunement question de grandeur et de conquête, ni d'Histoire en fait, mais plutôt de psychologie espiègle, voire de beauferie, de filmer un Napoléon qu'on verra avachi dans un trône, puis crier dans son chapeau. Napoléon, cet infâme tyran, lâche et égocentrique.
Etrange parti pris du réalisateur qui a antérieurement montré qu'il aimait filmer la guerre sous des airs épiques (e.g., la charge de Rome sous les cors de Hans Zimmer qui retentissent contre les barbares de l’Est dépeints comme des sauvageons). Donc, Ridley Scott n’avait définitivement pas envie de faire un film biographique sur Napoléon (sinon, il l'aurait fait différemment), mais plutôt de présenter un point de vue, peut-être un repenti de fin de carrière. « Tout compte fait, la guerre, les conquérants mégalomanes, etcetera, c’est mal. »
Si de façon générale apporter au cinéma une nouvelle subjectivité est louable, et plus particulièrement quand il s'agit de se distinguer d’autres œuvres plus scolaires et/ou dithyrambiques, le marteler jusqu'à ce point est gênant. Parce que contempler un portrait attardé aux yeux endormis et traits figés qui scande implicitement « Déboulonnez-les ! » pendant 2h30, ça peut être original, mais c'est lassant. Outre les évènements chronologiques, le film ne présente aucune évolution en son sein ; tout le message ayant été lourdement annoncé dès le début.
Tout de même, il y aura du réconfort quant à imaginer l'effet du film sur les descendants de bonnes familles patrio-mérito-conservatrices - plus largement tout afficionado du "légendaire self-made man" franco-corse - qui seront ouvertement déçus s'ils s'attendaient à une œuvre guerrière et élogieuse de la part de Ridley Scott. Ça, c'est drôle oui.
Créée
le 12 janv. 2024
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