Napoléon est une fresque grandiose et sincère d'un réalisateur qui s'est vu offert la grâce, comprenant que son devoir serait d'imager dans le 7e art (un art alors trentenaire) la vie de l'incontestable plus grande figure politique de l'Histoire de France (du monde ?). Gance ne parvint d'ailleurs à réaliser qu'une partie des 8 films qu'il avait prévu, est-ce dans cet élan que Kubrick envisageait un projet tout aussi faramineux ?


Les efforts de mise en scène du réalisateur sont d'une exemplarité ineffable. S'il n'était pas cinéaste, Abel Gance se serait vu sans aucun doute adoubé du statut de peintre tant ses tableaux scéniques forcent l'admiration et dénotent sa ténacité créative (que ce soit dans Napoléon mais aussi La roue ou ses futurs Austerlitz et La fin du monde).

On retiendra de plus la précision des citations distribuées qui prennent source chez tous les acteurs clés de la révolution française dont, bien entendu, les Mémoires de sa tête d'affiche. Gance parvient à glorifier ces paroles "Hist." en centralisant la caméra sur celui qui les prononce tout en ajoutant en arrière plan des éléments abstraits (soldats, hémicycle, artillerie, rochers,...) qui apportent donc à ce dernier une plus grand rayonnance.

La partition de Simon Cloquet-Lafollye sonne souvent juste en faisant preuve d'humilité sans imposer quelconques célèbres mélodies qu'ont put composer Haydn, Beethoven, Penderecki ou Mahler. Si ce procédé respecte les conventions musicales que l'on retrouvait dans les cinémas des années 20 (les orchestres étant présents durant la séance filmique) et donc des films de ces années, il démontre aussi l'estime qu'a eu le compositeur envers une œuvre centenaire qui se voulait entièrement muette. Y ajouter la Symphonie n.5, les Chants du voyageur ou Passion selon Saint Luc aurait rendu certaines scènes plus grandiloquentes que le vouloir de Gance et aurait indéniablement fait tâche.


L'œuvre est monumentale pour son pays en cette année 1927, mais elle ne dénote pas non plus d'un exploit technique inégalé ou alors inexistant (cf Stroheim, Griffith, Ford,...). Je pense notamment à l'utilisation du tryptique final qui semble être tant adulée par les critiques. C'est la preuve d'une grande créativité et maîtrise technique certes mais la méthode, en plus d'être utilisée quelque peu naïvement (j'affirme cela car je prend en compte la grandeur de l'œuvre et au vu du temps passé dessus Gance aurait pu perfectionner le rendu parfois très primaire, remarquable même à cette époque) n'a pas eu de réel impact sur le cinéma et ne mérite pas, à mon sens, tant d'éloge (car c'est littéralement un argument utilisé en introduction par beaucoup de retours).

Le défaut majeur que j'accorderai à l'oeuvre est son aspect bien trop hagiographique pour nous laisser le temps de nous attacher au personnage que fut Bonaparte. On ne lui offre comme pire des acabits que celle de martyr, ce qui est encore plus glorifiant.

Contrairement à La roue qui venait nous chercher aux tripes en utilisant les expressions faciales de Séverin-Mars et Ivy Close plus impressionnistes que jamais, on se sent délaissé par celle d'Albert Dieudonné un tantinet trop monotone, Bonaparte était décrit comme tel seulement sur le champ de bataille (politique comme militaire). Si l'on peut cracher à la figure de la dernière et minable performance napoléonienne au cinéma interprétée par Joaquin Phoenix, j'aime à penser que la description que fait Bondartchouk dans son Guerre et paix est la plus fidèle en alliant au personnage l'impassibilite intrinsèque de l'être à l'assurance militaire et politique de l'homme sans l'évincer de ses qualités humanistes (ou encore pire, le faire passer pour un incel, clin d'œil Scott ;).


Il faut saluer sans retenu le travail de restauration titanesque sous les commandes de Georges Mourier qui s'est attaqué à un monstre historique lui prenant pas moins de 16 ans. En espérant que d'autres pays prennent exemple sur la France quant à la conservation des œuvres cinématographiques. Car du CNC actuel à notre bien aimé Henri Langlois, des hommes et des femmes ont ramené à la lumière des dizaines de milliers d'œuvres, réanimant dans le panthéon culturel des dizaines de milliers d'âmes et des dizaines de milliers de visions du monde.


La restauration de Napoléon amène enfin à une réflexion plus profonde sur la digitalisation de l'art et notamment des films. En effet, l'œuvre serait restée incomplète sans la découverte inopinée de près de 700 nouvelles bobines entreposées au chaud et à l'abri à la Cinémathèque de Toulouse. Dans une société ultra-digitalisé, qu'est-e que la capacité de stockage abondante et à bas coûts face à l'immortalisation corporelle d'une bobine dans le temps ? Qu'est-ce qui prouve que la probabilité d'incidents est plus faible dans le stockage numérique que le physique ? Quelle valeur devrions nous accorder à une œuvre unique en comparaison de milliers de copies ?

PabloEscrobar

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